# 238 / Edito

Hier, nous étions deux ans après. Après quoi ? Après un massacre qui s’est certes déroulé là-bas, en Israël, mais qui pourtant nous implique, nous qui sommes ici en Europe. Or, ce que nous, Européens, sommes, cela n’a manifestement plus rien d‘évident. Ce dont il s’est agi le 7 octobre, alors, conserve quelque chose de nébuleux, car le nous européen qui s’y est trouvé impliqué s’est immédiatement déchiré au sujet de ce dont il venait au juste de faire l’expérience collective. De cette scission radicale, les commémorations et manifestations qui ont eu lieu hier à travers l’Europe ont une fois de plus témoigné. S’agissait-il, le 7 octobre, d’une nouvelle occurrence du terrorisme islamiste, ou du début de la destruction de Gaza ? Avons-nous assisté à un épisode de la lutte de libération du peuple palestinien, ou au plus grand massacre antisémite depuis la Shoah, immédiatement suivi ici par une résurgence de la haine des juifs ? L’Europe hésite, et dans cette hésitation elle met en jeu ce qu’elle est et ce que sera l’avenir de sa politique. Depuis 2 ans, la revue K. s’est efforcée de prendre la mesure du 7 octobre comme événement européen, mais aussi de ce que ses suites ont révélé de l’évolution d’Israël et de ses relations avec la diaspora et la communauté internationale. Tout au long du mois d’octobre, K. reviendra sur ces enjeux en proposant une série d’analyses approfondies. Le philosophe Bruno Karsenti ouvre ce cycle placé sous la lancinante question du souvenir — et donc de la possibilité que quelque chose se soit refermé. Son diagnostic prend acte du fait que, si le 7 octobre a révélé le vacillement et le clivage de la conscience européenne post-Shoah, le conflit politique des interprétations est en train de se stabiliser.

Sommes-nous encore dans l’après, et comment s’orienter dans ce qui vient ? Qu’exige le passage du traumatisme au souvenir ? D’abord, sans doute, la possibilité d’intégrer à une histoire – toujours à la croisée du personnel et du collectif – ce qui est arrivé : l’expérience traumatique doit pouvoir être racontée. Mais un récit, rappellent les psychologues Miri Bar‑Halpern et Jaclyn Wolfman, cela n’a d’efficacité que s’il peut être raconté à quelqu’un qui l’écoute et le prend en compte. Or, dans le contexte de l’après 7 octobre et de ses conflits d’interprétation, cette possibilité a cruellement fait défaut à de nombreux juifs de la diaspora. En proposant le concept d’ « invalidation traumatique » dans un article scientifique ayant rencontré un surprenant écho, Bar‑Halpern et Wolfman mettent des mots sur cette dimension contemporaine de l’expérience traumatique juive, et nous éclairent sur les effets psychologiques de ce qui s’apparente à un véritable déni d’empathie. Leur travail important nous est ici présenté par la psychologue clinicienne Céline Masson.

L’Europe n’est évidemment pas la seule à s’être fracturée dans les suites du 7 octobre, et la capacité à être empathique est aussi un enjeu pour celui même qui a fait l’expérience du traumatisme. Dans un court récit tiré de son expérience quotidienne en Israël, l’écrivain Etgar Keret souligne ainsi que les Israéliens ne se comprennent plus entre eux, au point qu’il leur faudrait inventer une nouvelle langue pour pouvoir rétablir la communication. Une question difficile lui semble néanmoins se poser : comment y faire une place au traumatisme des Palestiniens ?

Le 7 octobre n’a pas seulement été importé dans les débats européens : il s’y est réfléchi, révélant la crise interne d’une Europe incertaine de son héritage post-Shoah et post-colonial, et désormais divisée entre trois récits inconciliables — l’occidentaliste, l’anticolonial et l’européen. Au cœur de cette fracture, deux questions obsédantes : que reste-t-il de l’Europe, si elle ne sait plus reconnaître ce que signifie, ici comme là-bas, la résurgence de l’antisémitisme ? Mais aussi, que reste-t-il du sionisme comme projet européen, si la réponse qu’il a donné à l’antisémitisme en termes de droit des peuples lui échappe tout autant?

Qu’est-ce que « l’invalidation traumatique » ? Selon les psychologues Miri Bar-Halpern et Jaclyn Wolfman, c’est un concept qui pourrait décrire adéquatement les effets subjectifs du 7 octobre sur la psyché de nombreux juifs. Leur travail important nous est ici présenté par la psychologue clinicienne Céline Masson.

Dans ce court texte, l’écrivain israélien Etgar Keret évoque la faille que la guerre a creusée dans sa société, au point d’y rendre la communication impossible.

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.