# 226 / Edito

Il se murmure, ici et là, que lutter contre l’antisémitisme serait faire le jeu de l’extrême droite. L’alternative, ainsi posée, rend exclusives les options suivantes : lutter pour la démocratie ou lutter contre l’antisémitisme. S’il n’y a rien à attendre de ceux qui acceptent de se laisser prendre à ce jeu de dupes, le problème n’en est pas moins sérieux, particulièrement quand on tourne le regard du côté américain. L’entretien que nous a accordé le grand historien américain David Bell — spécialiste des Lumières françaises et professeur à Princeton — témoigne de la gravité de la situation sur les campus. Car il est impossible d’ignorer que, depuis le début de son second mandat, Trump instrumentalise la lutte contre l’antisémitisme pour imposer son agenda sécuritaire, revenir sur l’État de droit et justifier son offensive anti-intellectualiste sur le monde universitaire. Pas plus qu’il n’est possible d’ignorer que, si l’antisémitisme n’est pour Trump qu’un prétexte, ce dernier ne lui a pas moins été servi sur un plateau d’argent par des progressistes incapables de faire le ménage chez eux. Reste alors à refuser de se laisser emporter par ce petit manège où chaque camp participe, à sa manière, à l’étiolement de la démocratie et de ses institutions productrices de savoir…

Toujours de l’autre côté de l’Atlantique, et toujours le même étau qui enserre les juifs : d’un côté, une extrême droite qui prétend les protéger et défendre Israël, tout en s’attaquant à l’État de droit et aux minorités ; de l’autre, un courant progressiste de plus en plus poreux à l’antisémitisme. Cela, c’est le constat, tel que résumé par Sébastien Levi : être pris entre le marteau trumpien et l’enclume antisioniste. Mais comment les juifs américains réagissent-ils à cette situation nouvelle ? Quels repositionnements politiques se laissent déjà deviner ? Prenant appui aussi bien sur sa propre compréhension du judaïsme américain que sur l’analyse du vote juif lors de la dernière élection présidentielle, Sébastien Levi interroge la manière dont le rapport à Israël est en train d’être réévalué, notamment par la jeune génération juive, et les nouvelles alliances politiques qui pourraient être nouées.

Pour clore ce dernier numéro avant les vacances, nous diffusons la version podKast des bonnes feuilles du Petit manuel de lutte contre l’antisémitisme de Jonas Pardo et Samuel Delor. Vous pourrez désormais écouter Roxane Kasperski pour vous rendre compte des raisons pour lesquelles il convient de se méfier des discours de Tsedek et de l’UJFP, ces organisations juives antisionistes qui se donnent pour fonction de dispenser la gauche de toute remise en question au sujet de l’antisémitisme.

Le spectacle de la polarisation extrême qui embrase la société américaine, tout particulièrement au sujet de son système universitaire, pourrait nous faire oublier l’importance qu’y conserve la vieille tradition du pragmatisme libéral. L’entretien que nous a accordé le grand historien américain David Bell, spécialiste de la France et professeur à Princeton, vient nous le rappeler, en refusant aussi bien d’exagérer que d’euphémiser le sujet si clivant de l’antisémitisme sur les campus. Alors que Trump et les franges les plus radicales du progressisme des campus se disputent le droit à saboter l’université américaine, David Bell indique le lieu où lutte contre l’antisémitisme et défense de l’université dépendent l’un de l’autre.

Comment les juifs américains vivent-ils la situation politique actuelle, où se trouve remis en cause à la fois leur attachement à Israël, les normes démocratiques de leur propre pays et la sécurité dont ils croyaient bénéficier face à l’antisémitisme ? Pour Sébastien Lévi, ils sont pris entre le marteau trumpien et l’enclume antisioniste, et cet écartèlement préfigure les reconfigurations et les luttes politiques à venir.

Que sont TSEDEK ! et l’UJFP, et quel discours tiennent ces organisations au sujet des juifs et de la lutte contre l’antisémitisme ? Nous publions le chapitre consacré à cette question du Petit manuel de lutte contre l’antisémitisme de Jonas Pardo et Samuel Delor, paru aux éditions du commun le mois dernier. Y est critiquée la posture d’exceptionnalité adoptée par certains juifs antisionistes, et la manière dont elle permet à une partie de la gauche d’éviter toute remise en question.

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Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.