# 224 / Edito

En Belgique, il est, jusqu’à preuve du contraire, illégal d’égorger ses concitoyens. Par contre, il semble conforme au droit de déclarer publiquement « avoir envie d’enfoncer un couteau pointu dans la gorge de chaque Juif ». Bienvenue dans la stupéfiante affaire Brusselmans, du nom de l’écrivain flamand ayant appelé au meurtre des juifs dans un hebdomadaire à gros tirage, sans que cela ne fasse scandale, et avant d’être acquitté par la justice. L’enquête de Rafaël Amselem – dont nous publions cette semaine la première partie – explore les méandres juridiques et le contexte culturel flamand au sein desquels ce genre de propos peuvent passer pour une simple opinion personnelle, et être couverts pas la liberté d’expression. Si se dessine en toile de fond de cette affaire un malaise spécifiquement belge face à l’antisémitisme et à ses expressions antisionistes, s’y trouvent aussi illustrées les apories d’une conception illimitée de la liberté d’expression, incapable de prendre acte de ce que les attaques verbales contre les minorités contiennent déjà de violence.

Alors que la guerre entre Israël et l’Iran semble avoir ravivé dans une partie de l’opinion publique occidentale une vieille représentation – celle du juif sur qui l’on doit pouvoir compter pour porter partout l’étendard de la lutte pour la justice universelle et qui, encore une fois, a déçu les tenants de ce fantasme –, une question à la fois naïve et provocante nous a semblé mériter d’être soulevée : « Pourquoi les juifs devraient-ils servir à quelque chose ? ». C’est Keith Kahn-Harris, l’auteur britannique de Everyday Jews : Why the Jewish people are not who you think they are [Icon Book, 2025. (Juifs ordinaires : pourquoi le peuple juif n’est pas celui que vous croyez)] qui se charge cette semaine de mener l’interrogation, et de déstabiliser nos évidences à ce sujet. La question, à vrai dire, s’adresse autant aux juifs qu’aux non-juifs, puisqu’elle traite du rapport qui s’est entériné entre les juifs et le monde dans notre modernité. L’ironie, alors, dissimule mal la gravité de ce qui est soulevé : pourquoi les juifs semblent-ils condamnés à occuper le centre du débat public, et qu’est-ce qui les empêche de mener une existence parfaitement mondaine et futile ?

Le récit de Danny Trom « Semaine sainte sous Lexomil » a suscité de nombreuses réactions plus ou moins alarmées quant à la lucidité de notre cher sociologue. Portant la plus grande attention aux retours de nos lecteurs, nous avons épluché ce courrier abondant. S’y est distinguée la critique de l’anthropologue et historien Leopoldo Iribarren, et la rédaction a décidé de publier son droit de réponse. Ayant troqué le Lexomil pour une potentielle bouteille de xérès, Danny Trom a consacré une partie de son week-end à répondre à son collègue. Le’haïm !

Connaissez-vous Herman Brusselmans ? Il est l’auteur de ces lignes, parues en août 2024 dans un magazine belge populaire : « Je vois une image d’un petit garçon palestinien en pleurs et en cris, appelant sa mère ensevelie sous les décombres. Je deviens alors si furieux que j’ai envie d’enfoncer un couteau pointu dans la gorge de chaque Juif que je rencontre. » Moins d’un an plus tard, la procédure engagée par une organisation juive débouche sur un acquittement. Dans une enquête en deux parties, Raphaël Amselem raconte pourquoi — et comment. Voyage en Belgique, là où ces paroles ne choquent (presque) plus.

Keith Kahn-Harris, auteur de Everyday Jews : Why the Jewish people are not who you think they are, interroge ici, avec un soupçon de provocation, cette étrange et aliénante tendance juive à vouloir se rendre indispensable au monde. Et si la plus belle réplique contre l’antisémitisme était finalement de s’arroger le droit à la frivolité, de s’autoriser une existence parfaitement superflue ?

Coïncidence du calendrier, Danny Trom avait prévu ses vacances en famille à Séville, pile pendant la Semaine Sainte. Perdus au milieu des défilés de pénitents, le Lexomil ne suffisant pas pour contrer une peur et une angoisse juive sans doute ataviques, il s’est improvisé correspondant journalistique de cette expérience archaïque du catholicisme.

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Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.