La violence extrême et la logique de dépossession assumée du gouvernement israélien, qui mettent chaque jour plus en péril le sort des Gazaouis et l’avenir politique des Palestiniens, et dont le contrecoup, en Europe comme aux États-Unis, est une flambée impressionnante des actes antisémites, appellent une condamnation ferme et sans équivoque. Dans ce contexte grave, la critique nécessaire ne peut s’abstenir de qualifier, à la fois politiquement et juridiquement, les actes effectivement commis par Israël en violation des normes du droit international. Et pourtant, c’est précisément sur ce point qu’une énigme surgit, à partir de laquelle se dessine un clivage qui semble surdéterminer tous les autres. Car certains acteurs portent – depuis le début de la guerre, voire avant même le 7 octobre – un terme qui entend monopoliser la tâche descriptive et critique : « génocide ». L’énigme s’énonce ainsi : Pourquoi la valeur d’un discours, tout critique soit-il, doit-elle forcément être jugée à l’aune de l’emploi de ce terme – au risque, attesté par des exemples trop nombreux, d’être complètement disqualifié dès lors qu’il s’y refuse ? Pourquoi cette injonction à dire « génocide », sous peine d’être soupçonné de ne rien avoir dit, et plus encore de vouloir ne rien dire ?
Clarifier cette énigme est une tâche indispensable pour qu’enfin soit libérée l’expression des voies critiques qui aujourd’hui, doivent se porter à l’encontre de la politique israélienne, au nom de la recherche d’une issue véritable au conflit tragique qui se déroule sous nos yeux. C’est pourquoi, après avoir la semaine dernière donné à voir ce que, même dans ce contexte, l’imagination politique parvient à produire, il nous a semblé salutaire cette semaine de publier le texte de Matthew Bolton « Ce que génocide veut dire ». Son grand mérite est de se refuser à répondre à l’injonction en question par le seul argument défensif qu’il y aurait là simplement un plaisir subversif à accuser les juifs d’être génocidaires. Bolton va plus loin. Sans préjuger de la qualification adéquate des actes, son analyse a avant tout pour but de préserver la possibilité d’émettre un jugement lucide, orienté vers la résolution politique de la situation à laquelle il s’applique. Or cela passe par la mise au jour de ce que l’équation « Israël = génocide » véhicule d’idéologie visant à nier l’existence même de l’État hébreu depuis sa fondation, et nullement à contrecarrer ce que fait son gouvernement.
Le grand historien Pierre Nora nous a quittés cette semaine. Pour lui rendre hommage, et rappeler l’importance actuelle de son travail de recherche, nous publions un texte de Danny Trom[1] qui interroge l’écho entre le projet des Lieux de mémoire de Nora et Zakhor de Yerushalmi. De la confrontation entre ces deux approches divergentes de la question mémorielle surgit une réflexion sur la spécificité de la conscience historique juive et de son rapport à la mémoire, dont la permanence s’articule à la promesse révolutionnaire de l’Émancipation. Que veut dire se souvenir, quand l’idéal républicain vacille ?
Le débat lancé par Gabriel Abensour au sujet du languissement du franco-judaïsme n’en finit pas de faire réagir. À son diagnostic sans concession ont d’abord répondu David Haziza et Julien Darmon, mais cette semaine, c’est au tour de Jérémie Haddad de venir ajouter son grain de sel à cette discussion. Selon lui, il conviendrait d’abord de tirer les conséquences du dépérissement du franco-judaïsme consistorial et assimilationniste, afin de reconnaître de quelle spécificité le judaïsme français tire véritablement sa vitalité spirituelle et intellectuelle. Une fois débarrassé de sa « prétention orgueilleuse d’accomplir une prophétie », fût-ce au prix de la conscience de sa précarité, le franco-judaïsme n’est-il pas plus à même de s’affronter aux enjeux contemporains ?
Notes
1 | Une première version de ce texte est initialement parue dans La France en récits, sous la direction de Yves Charles Zarka, Puf, 2020. |