# 214 / Edito

Tandis que la protestation monte, en Israël contre la logique meurtrière du gouvernement Netanyahu, et à Gaza contre le martyr du peuple palestinien voulu par le Hamas, l’antisionisme occidental réagit d’abord par le silence. Par-là, il témoigne du fait que ce funeste face-à-face soit le seul qui convienne à sa lecture idéologique du conflit. La politique se réduit alors à la distinction ami/ennemi, dessinant des camps qui ne tolèrent pas le clivage interne, et ne partagent donc que leur volonté d’annihilation mutuelle. Cette vision du monde a des effets directs sur notre débat public : en atteste le traitement du vocable « sioniste de gauche » et de ceux qui s’en trouvent affublés. Julien Chanet interroge cette semaine les motifs qui font croire à une partie de la gauche que le sionisme ne peut qu’être son ennemi existentiel, la poussant dès lors à s’installer dans une logique binaire qui interdit toute perspective de paix : « Pourquoi serait-il donc impensable qu’un sionisme de gauche, à défaut d’être soutenu dans son travail de critique interne du sionisme, soit au moins laissé tranquille ? ».

À l’occasion de Pâques, nous publions deux textes qui n’ont rien à voir avec la mort du Pape. Aussi peu à voir, en fait, que cette dernière avec son ultime moment de gloire : ce discours résolument moderne sur la montée de l’antisémitisme. Corrélation n’est pas causalité, évidemment. Quoiqu’il en soit, et puisque nous sommes dans le registre des pures coïncidences, Danny Trom nous en partage une belle. Il croyait passer une paisible semaine de vacances en famille à Séville ? C’était sans compter sur la semaine Sainte et ses pénitents aux allures de Klansmen qui surgissent à chaque coin de rue. Son délire interprétatif calmé par un Lexomil ou deux, il relate pour K. cette confrontation traumatique avec les aspects les plus archaïques du catholicisme.

En parallèle, et pour faire amende honorable, nous publions le récit de l’étrange conversion d’un juif au catholicisme. Cette nouvelle du grand écrivain roumain Ion Luca Caragiale, traduite et préfacée par Elena Guritanu, prend, elle aussi, place durant la semaine Sainte. Quelqu’un a annoncé un événement pour le soir de Pâques. Alors le juif Leiba Zibal attend, dans la fièvre et l’angoisse, que le miracle advienne.

Qu’on puisse être sioniste et de gauche, c’est ce qu’a décidé de rejeter par principe la gauche antisioniste contemporaine. Pourtant, cette possibilité est bien sûr attestée par tout un pan de l’histoire politique d’Israël comme par les mouvements politiques auxquels adhèrent de nombreux juifs de la diaspora. Julien Chanet interroge ici les causes et les conséquences de cette « évidence antisioniste » qui veut que « sionisme de gauche » soit un oxymore. En préférant dénigrer cette réalité que la penser, l’antisionisme vise non seulement à rendre les juifs un peu plus étrangers à la gauche, mais il se fait paradoxalement l’allié objectif du sionisme réactionnaire, obstruant tout horizon d’une issue politique au conflit israélo-palestinien. 

Coïncidence du calendrier, Danny Trom avait prévu ses vacances en famille à Séville, pile pendant la Semaine Sainte. Perdus au milieu des défilés de pénitents, le Lexomil ne suffisant pas pour contrer une peur et une angoisse juive sans doute ataviques, il s’est improvisé correspondant journalistique de cette expérience archaïque du catholicisme.

On entend parfois dire que les juifs seraient réfractaires à la révélation christique. Pour Pâques, K. publie une nouvelle d’Ion Luca Caragiale, traduite du roumain par Elena Guritanu, qui montre qu’il n’en est rien. Dans ce récit d’une étrange conversion, le juif accepte en effet de se saisir de la main catholique qui lui est tendue, seulement un peu aidé dans sa décision par cette fièvre sans laquelle il n’est pas de foi véritable.

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.