# 116 / Edito

L’éminent historien des religions américain Daniel Boyarin, spécialiste du Talmud et du judaïsme antique – auteur notamment de La partition du judaïsme et du christianisme et de Le Christ juif. À la recherche des origines [tous les deux parus aux Editions du Cerf] – se définissait autrefois comme un sioniste de gauche avant de se convertir à un antisionisme radical. Dès les premières lignes de la préface de son nouveau livre The No-State Solution. A Jewish Manifesto [Pas d’État : la solution. Un manifeste juif], il explique que l’existence de l’État d’Israël entre en contradiction avec une existence juive vibrante qui ne devrait pas tolérer l’injustice envers les Palestiniens. Conséquent avec lui-même, Boyarin « rejette catégoriquement la solution d’un État-nation » du peuple juif et préconise « un nationalisme diasporique qui n’offre pas la promesse de la sécurité, mais la possibilité d’une existence collective éthique ». Mais conséquent, l’est-il aussi avec les soubresauts de l’histoire juive et avec les réponses politiques que les Juifs ont été contraints de formuler ? Certainement pas, selon Danny Trom qui discute la thèse de Daniel Boyarin en soulignant tout ce qu’il faut d’oubli et de cécité pour la soutenir.

Le Birobidjan, « région autonome juive », a été fondé en mai 1934, aux confins de l’URSS, à la frontière chinoise, avec le yiddish pour langue officielle. Si chaque nationalité vivant sur le territoire soviétique devait se voir attribuer une région selon les soviétique, c’est Staline qui en prit l’initiative pour les Juifs. L’objectif était ambigu, car il s’agissait aussi de tenir les intellectuels juifs à l’écart, loin des grandes villes, et de proposer une alternative crédible au sionisme. Des dizaines de milliers de Juifs y vivaient à la fin des années quarante, où ils représentaient un quart de la population locale. Espoirs et sentiment de relégation s’y mêlaient… Aujourd’hui, les Juifs ont quitté ce territoire et n’y représentent plus qu’un seul petit pour cent de la population locale. C’est là que Ber Kotlerman a grandi. Il a consacré à cette région un roman encore inédit, dont nous publions le prologue, traduit du yiddish par Macha Fogel. La scène se déroule en 1946. L’auteur imagine les écrivains du Birobidjan de cette période réfléchissant ensemble sur le sens de cette région soviétique et juive dans laquelle ils vivent désormais.

Enfin, dans ce numéro qui rappelle comment des solutions alternatives au sionisme ont pu et peuvent encore être imaginées, nous republions « Le peuple-monde vu depuis Leopoldstaadt ». Les sociologues Julie Cooper et Dorit Geva y évoquent le cas de la communauté juive renaissante de Vienne qu’elles analysent comme le signe d’une nouvelle forme d’existence juive diasporique.

Professeur américain d’histoire des religions, éminent spécialiste du Talmud et du judaïsme antique, Daniel Boyarin a récemment fait paraître ‘The No-State Solution. A Jewish Manifesto’ [Pas d’État : la solution. Un manifeste juif] qui se présente, dès sa quatrième de couverture, comme un « livre provocateur ». Celui-ci – qui n’est pas encore traduit en français – suscite déjà la discussion. Danny Trom revient sur l’antisionisme et le diasporisme radical qu’y défend l’auteur.

« Nous aurons été comme des rêveurs » a été publiée pour la première fois en yiddish dans le magazine new yorkais Afn Shvel. Il constitue le prologue d’un roman en yiddish que l’auteur, Ber Kotlerman, professeur de langue et littérature yiddish à l’université de Bar-Ilan — né à Irkoutsk en 1971 et qui à grandi au Birobidjan, la « region autonome juive » fondée en 1934 en URSS — publiera bientôt chez l’éditeur suédois Olniansky Tekst.

Le cas de la communauté juive renaissante de Vienne est-il le signe qu’une forme nouvelle de l’existence juive diasporique s’esquisse ? Telle est la proposition de Julie Cooper et Dorit Geva qui y déchiffrent, suivant le schème de l’historien Simon Doubnov, l’émergence en Europe d’une nouvelle forme communautaire, non pas nationalisée, mais insérée dans l’Union politique européenne. Elle pourrait servir de modèle, capable de s’imposer comme une alternative à la forme nationale incarnée dans l’Etat d’Israël et celle, peut-être en déclin après avoir dominée, du judaïsme américain.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.