# 112 / Edito

La semaine dernière, l’Assemblée nationale a rejeté une proposition de résolution déposée par le député communiste Jean-Paul Lecoq condamnant « l’institutionnalisation par l’État d’Israël d’un régime d’apartheid consécutif à sa politique coloniale ». Il s’agissait de la réécriture du texte qui déjà avait fait débat en juillet dernier. À l’époque, celui-ci avait été analysé dans K. par Bruno Karsenti comme un énième symptôme de la crise de la critique que traverse la gauche française depuis plusieurs années. La résolution d’aujourd’hui ne dit plus que « les autorités israéliennes traitent les Palestiniens comme un groupe racial inférieur » et affiche dès son titre la « nécessité d’une solution à deux États », mais l’esprit reste le même : il faut continuer de disqualifier Israël en le présentant comme un État d’apartheid. Sauf qu’entre juillet dernier et aujourd’hui quelque chose a changé sur la scène politique israélienne : une grande partie de sa société démocratique brandit le texte de la déclaration d’indépendance et, avec vigueur et au nom d’une certaine idée du sionisme, réagit à ce qui lui apparait comme un dévoiement du sionisme par le gouvernement actuel. Bruno Karsenti revient sur ce moment, où un texte émanant de la partie de la gauche actuellement dominante en France, s’efforce de ne pas voir ce qui se joue dans la réalité israélienne qui pourtant invalide son constat.

Evguéni Tchirikov, né en 1864 dans une famille noble désargentée de Russie, fut célèbre en son temps. Mort à Prague en 1932, le président de la République tchécoslovaque en personne avait assisté à ses obsèques. Il y vivait en exil, après avoir écrit La Bête de l’abîme, récit-poème sur la Révolution où il faisait montre de la même sévérité vis-à-vis des Rouges que des Blancs. Mais depuis sa mort, Tchirikov a sombré dans l’oubli et c’est par hasard, au fil de ses lectures, que le grand traducteur du russe André Markowicz a découvert Les Juifs, pièce écrite par Tchirikov en 1903, juste après le pogrom de Kichinev. Il a décidé de la traduire et nous sommes heureux de pouvoir en présenter un fragment. L’action se passe dans l’appartement et la boutique de l’horloger Leiser Frenkel. On y voit la famille de ce dernier, et les amis – juifs et non-juifs – de son fils et de sa fille, parler fiévreusement de la situation des Juifs de la Russie dans la période qui précède la révolution. On y débat sur le sionisme et l’assimilation, l’exil et la religion, le socialisme et l’Amérique, Marx et le Talmud. On évoque les pogroms passés alors que bruissent les rumeurs des pogroms à venir. Montée par Meyerhold en 1906, la pièce fut interdite en Russie mais jouée à travers l’Europe et aux États-Unis – avant de disparaître. Les Juifs ne figure même pas dans les seize tomes de l’édition russe des Œuvres complètes de Tchirikov.

Enfin, nous republions cette semaine le puissant discours d’inauguration de l’Université Hébraïque de Jérusalem que Haïm Nahman Bialik prononça en 1925. Moment fondateur de l’histoire du sionisme que le grand poète inscrit dans la longue histoire du peuple juif. Plutôt que sur la rupture que représente le retour en Eretz Israël, Bialik insiste sur la continuité de l’étude qui trouvera désormais dans cette université le lieu privilégié de son prolongement. Une manière d’articuler, avec des accents prophétiques, la longue existence diasporique et le récent ré-ancrage territorial, et de donner toute sa profondeur historique à l’idéal spirituel que l’Université de Jérusalem entend incarner.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.