À quoi renvoie ce « chez nous ! » que les grands-parents et parents juifs originaires du Maghreb prononcent régulièrement pour évoquer le pays qu’ils ont dû quitter avant de venir s’installer en France ou en Israël ? La mémoire nostalgique qu’une telle exclamation suppose a été transmise aux générations qui suivaient, provoquant parfois un désir d’en savoir davantage sur « leur » pays d’origine, comme pour se l’approprier à leur tour. Joseph Benamour, qui s’était déjà demandé K. s’il restait des Juifs en Algérie, raconte la recherche de plusieurs jeunes Français tentés de découvrir le Maroc, la Tunisie, l’Algérie – voire de s’y installer. Représentent-ils un mouvement important ? Difficile à dire. La trajectoire est en tout cas symptomatique. Elle est celle d’un « retour » paradoxal vers des pays connus à travers des récits familiaux mais aussi d’un retour vers soi, pour enquêter sur une identité vécue comme multiple et fragmentée, à la fois arabe, juive et française.
À Marseille, en 1940, sur le point de quitter l’Europe, le grand révolutionnaire Victor Serge se vit demander s’il était juif. « Je n’ai pas cet honneur », répondit-il… Contrairement à une grande partie de la gauche communiste et libertaire qui, même quand elle condamnait l’antisémitisme, ne s’intéressait guère aux Juifs en tant que tels, l’auteur des Mémoires d’un révolutionnaire était d’un philosémitisme inaccoutumé. Loin des positions d’un Proudhon, d’un Marx, d’un Blanqui ou d’un Bakounine, la lutte contre l’antisémitisme était pour lui « une lutte pour la libération de l’homme, pour un nouvel humanisme » et devait « [constituer] un des devoirs les plus impérieux. » Mitchell Abidor évoque cette préoccupation de Victor Serge, sans négliger la part d’ambiguïté qui s’y révèle parfois.
Séan Fergusson, un professeur écossais, se rend dans une université espagnole pour y donner un cours sur la culture et la mémoire. Invité d’honneur, il a droit à une visite privée de sa bibliothèque historique. Dans une pièce secrète, contenant la collection d’ouvrages interdits par l’Inquisition, le bibliothécaire ouvre un coffre en bois et en extrait – découverte inattendue – une curiosité précieusement gardée : un rouleau de la Torah. Séan Fergusson commence alors son enquête. « La Torah de Salamanque » de Philip Schlesinger raconte une histoire d’effacement du passé et de mémoire incomplètement refoulée. L’auteur a choisi la forme littéraire pour ce récit, plutôt que le reportage ; mais les curieux doivent savoir que la Torah de Salamanque existe bel et bien, toujours cachée dans un coffre de la bibliothèque de l’université…