# 102 / Edito

K. évoque cette semaine deux livres, parus il y a quelques mois, dont les auteurs ont comme point commun de revenir sur l’histoire personnelle de leurs familles aux prises avec la grande Histoire qui les a emportées. Dans le quatrième podcast que nous proposons, Avishag Zafrani s’entretient ainsi avec l’historienne Annette Wieviorka à propos de son livre Tombeaux. Autobiographie de ma famille (Prix Femina Essai. Seuil, 2022). Quel récit composer pour dire l’histoire de ces juifs polonais ayant construit leurs vies dans la France d’avant-guerre et que la Shoah est venue frapper ? L’auteure plonge dans les archives – c’est-à-dire aussi en elle-même : l’historienne se présentant littéralement comme une des archives à consulter. Son livre retrace un monde disparu, en réfléchissant aux traces qui persistent et aux mémoires qui s’obstinent, en même temps qu’il interroge les possibilités et l’impuissance de l’historien à rendre justice de la vérité des trajectoires passées.

Le salon de l’agriculture a ouvert ses portes cette semaine à Paris. Veaux, vaches et cochons y sont exposés dans l’enthousiasme. L’occasion pour nous de revenir sur le livre de Sonia Devillers, Les Exportés (Flammarion, 2022) puisque celui-ci nous rappelle que c’est comme des bêtes que les juifs roumains furent massacrés, de manière artisanale, par les sbires du maréchal Antonescu, bien aidés par une partie de la population locale, qui ensemble firent de la Roumanie de 1941 une boucherie à ciel ouvert. Il nous apprend aussi qu’après-guerre, parce que la Roumanie est restée un haut-lieu de l’industrie de la viande, les juifs ayant survécu furent troqués contre du bétail ; veaux, vaches et cochons. « Les juifs et le pétrole sont nos meilleurs produits d’exportation » dira un jour Nicolas Ceausescu. C’est comme des marchandises que la famille de Sonia Devillers a été évaluée et vendue à l’étranger, quittant la Roumanie communiste en 1961. Danny Trom a lu l’ouvrage de Sonia Devillers pour K.

Et puisqu’il est déjà question de viande cette semaine, nous republions le texte du juriste israélien Shai Lavi qui revenait sur la question de l’interdiction de l’abattage rituel telle qu’elle s’est posée aux juifs en Europe. Telle qu’elle s’est posée dans le passé et telle qu’elle revient aujourd’hui : l’obligation de l’étourdissement préalable à l’abattage est désormais une revendication des partis animalistes et de nombres de partis écologistes européens. Or, arguant d’une attention au bien-être animal, elle se confronte incidemment aux règles de l’abattage rituel juif et musulman. Shai Lavi nous rappelle dans ce texte comment les autorités traditionnelles ont pu réagir aux interdictions passées en étant attentives à leur contexte et aux intentions qui les motivaient.

Dans ce nouveau PodKast, Avishag Zafrani s’entretient avec Annette Wieviorka, au sujet de son dernier livre Tombeaux, une autobiographie de ma famille. L’historienne y plonge dans ses archives intimes pour nous raconter ce qu’était le monde juif polonais de l’entre-deux guerres en France, sa vie artisanale, sa vie intellectuelle et ses mouvements ouvriers. Comment s’y constitua une culture spécifique, avant les persécutions et la Shoah ? Et quel est le regard de l’historienne sur sa propre histoire ?

Dans la Roumanie communiste des Juifs ont été troqués contre des porcs, des veaux ou des vaches. C’est ainsi que les grands-parents de Sonia Devillers – comme elle le raconte dans Les Exportés (Flammarion, septembre 2022) – ont pu passer à l’ouest. Se dégage de la Roumanie un tableau aux couleurs de sang et de tripes : après avoir été abattus artisanalement, les juifs rescapés valaient tout juste le prix des bêtes contre lesquelles ils étaient échangés.

La question de l’interdiction de l’abattage rituel (shehita) s’est posée plusieurs fois aux Juifs en Europe. Shai Lavi nous rappelle que, confrontées à cette situation, les autorités traditionnelles ont toujours réagi en cherchant à s’adapter au contexte dans lequel cette interdiction était formulée – ce qui supposait de bien identifier l’intention qui la motivait. Puisque seul le motif antisémite condamne tout compromis, il est d’une extrême importance de bien l’établir avant de trancher. Le texte de Shai Lavi, professeur de droit, suggère que nous serions bien inspirés aujourd’hui de prolonger cette enquête chaque fois que les juifs sont pris dans une polémique de cette sorte.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.