Bâtir un musée juif au Bélarus. Entretien avec Maya Katznelson

Maya Katznelson a fondé, en 2019, le « Centre pour l’héritage culturel bélarusso-juif » (BJCH center), en vue de rassembler et d’exposer le riche patrimoine culturel juif du Bélarus. L’un des objectifs du centre, après avoir déjà abrité divers événements, est de créer un Musée juif du Bélarus, un espace mêlant aussi recherche et éducation. Maya Katznelson a dû quitter son pays suite aux événements qui secouent aujourd’hui sa région. Elle a passé deux mois en résidence au Musée d’art et d’histoire du judaïsme (mahJ) à Paris et réside provisoirement à Londres. À l’occasion de son séjour parisien, elle nous a présenté quelques-unes de ses expositions passées et revient sur les ambitions du centre pour lequel elle se bat.

 

Maya Katznelson au mahJ en juin 2022 devant un tableau de Marc Chagall – Photographie Lisa Vapné.

 

Il y a deux ans, en août 2020, le monde semble découvrir l’existence d’un pays d’Europe, le Bélarus – pays qui a hérité ses frontières de la République soviétique de Biélorussie. Au soir d’une nouvelle élection renouvelant le mandat du président Aleksandr Loukachenka, au pouvoir depuis 1994, les rues des villes du pays se remplissent d’une foule vêtue de blanc. Les journalistes, dépêchés sur place, découvrent une population citadine, jeune et connectée, capable de se mobiliser avec rapidité, repoussant au loin les clichés d’un pays vivant sous cloche et sentant la naphtaline. Cet intérêt de l’été 2020 pour le Bélarus et les initiatives de sa jeunesse semble aujourd’hui bien lointain. Il aura duré le temps d’un été, pas beaucoup plus.

Maya Katznelson incarne cette jeunesse. Née à Minsk en 1988, elle est curatrice pour des projets culturels internationaux depuis plus de 10 ans. Et du plus lointain qu’elle s’en souvienne, elle s’est toujours intéressée à son histoire familiale. Du côté de sa mère, elle ne sait pas grand-chose. Une grand-mère probablement bélarusse qui n’a jamais voulu en dire beaucoup sur sa vie ; un grand-père espagnol, évacué de Bilbao enfant, en 1937, par les Soviétiques, pendant la guerre civile espagnole. La famille de son père est juive, « une longue histoire juive », dit-elle. Pour Maya, cette histoire ressemble à celle de tant d’autres en Biélorussie soviétique : des familles mixtes, faites de secrets et de peur.

La famille Katznelson est toujours restée au Bélarus et n’a jamais changé de nom – ce que Maya souligne. Au moment de la grande migration juive des années 1990[1], seul son père a décidé de ne pas émigrer. Maya, elle aussi, aurait préféré ne jamais partir, mais ce qu’elle appelle avec pudeur « les circonstances » l’ont conduite à quitter son pays au mois de mars 2022. Elle ne veut ni ne peut épiloguer à ce propos.

Maya Katznelson a fondé en 2019 le « Centre pour l’héritage culturel bélarusso-juif », afin de mettre en valeur, à l’intérieur du Bélarus comme en dehors, la culture juive vivace née sur ce territoire. Ce territoire, c’est celui qui est le plus souvent vu comme celui des confins, de la périphérie, coincé entre la Russie d’un côté et la Pologne de l’autre, la Lituanie au nord et l’Ukraine au Sud. Pourtant, ce lieu que le poète Moshe Koulbak[2] nommait « Raysn[3] », on peut aussi le regarder avec ses spécificités de centre de la vie juive, centre des utopies révolutionnaires et des avant-gardes, centre d’un monde dont les capitales seraient Minsk et Vitebsk. Ce territoire où, dans la première partie du XXe siècle, le sang n’a cessé de couler, le sang des Juifs, mais pas seulement.

Maya Katznelson a depuis longtemps le désir de créer un musée juif au Bélarus à la hauteur de ce qu’a été cette présence dans le passé, et de son héritage aujourd’hui. Elle a la conviction profonde que le Bélarus doit comprendre son histoire, celle d’un creuset de « nationalités » et qu’il doit en garder la trace. Au Bélarus, et en particulier dans sa capitale Minsk, la présence juive est partout et nulle part. Elle n’est visible que pour ceux qui savent la voir.  Nous sommes loin désormais de cette ville dont la gare affichait naguère fièrement son nom en russe, bélarusse, polonais et yiddish. 

Gare de Minsk photographiée en 1926 – Wikipedia commons

C’est à Paris, dans la cour du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ), où Maya est en résidence, que nous nous sommes rencontrées. Son pays, Maya aimerait y retourner, le plus tôt possible, pour qu’un musée juif puisse y voir le jour.

En attendant, ses projets n’ont pas été suspendus, mais elle doit leur donner une nouvelle forme, dictée par la situation : cette forme hybride et virtuelle que l’épidémie de Covid a rendue plus familière. Elle raconte dans cet entretien les initiatives qu’elle a menées jusqu’à présent dans un contexte où des femmes et des hommes de bonne volonté se rassemblent pour lever la tête, malgré les circonstances. Elle dit -son souhait d’inventer ce musée qui raconterait une histoire pas forcément lacrymale, ni nécessairement nostalgique d’un shtetl fantasmé, un musée tourné vers l’avenir dans un pays où les Juifs qui était majoritaires dans de nombreuses villes ont pourtant presque totalement disparu.


Lisa Vapné : Comment en êtes-vous venue à l’idée de créer un musée juif au Bélarus ?

Maya Katznelson : Cette idée a mûri en moi pendant très longtemps. Les projets que j’ai réalisés avant 2018 en tant que commissaire d’exposition étaient des projets patrimoniaux, qui portaient sur l’histoire de la Biélorussie. Le thème juif était déjà très présent, en tous cas, moi, je le voyais partout. C’était le cas, par exemple, lorsque j’ai travaillé sur une exposition consacrée aux débuts du cinéma muet en Biélorussie. J’ai accumulé de l’expérience comme commissaire d’exposition et j’ai commencé à interroger autour de moi : pourquoi n’avons-nous pas au Bélarus un musée juif digne de ce nom ? Dans le pays, les gens ne connaissent pas cette histoire, alors qu’il faudrait simplement leur raconter. Au moment où je terminais de travailler à Minsk sur une grande exposition dédiée au photographe juif soviétique Lev Borodulin, légende de la photographie sportive, j’ai posé à nouveau la question au cours d’une discussion avec des amis : « Comment se fait-il que ce musée n’existe pas ? Son existence serait une source d’inspiration pour nous tous. » Et un ami m’a répondu : « Pourquoi toi tu ne t’en occuperais pas ? » C’est tout. C’est cette petite phrase qui a été l’élément déclencheur. Une porte s’est ouverte en moi et tout est allé très vite.

L.V. : Pourtant, il existe quelques musées sur cette thématique…

M.K. : Oui, ici et là, il y a des musées régionaux, mais je dirais que ce sont des musées ethnographiques. C’est le cas à Mir, par exemple. Ces musées ont été créés grâce à la bonne volonté de quelques personnes. Ce sont parfois de simples pièces dans des musées ou dans les Communautés juives. Inna Guerassimova à Minsk a créé en 2002, à l’intérieur du bâtiment de la Communauté juive, le musée d’histoire et de culture des Juifs de Biélorussie. À Novogrudok, il y a un « musée de la résistance juive » dans le musée ethnographique[4]. Je considère que ces initiatives et tout ce travail sont absolument inestimables, mais qu’ils devraient servir à construire quelque chose de plus fondamental, pour un pays avec une telle histoire, et où la culture est tellement liée à cette présence juive. Il devrait y avoir quelque chose de plus grand. Pour moi, cette absence représente une injustice face à cette histoire ; une injustice qui m’a toujours beaucoup remuée. Je ne voudrais pas qu’on puisse dire : « Nous avons déjà un musée juif et ça suffit ». C’est très bien qu’il y ait ces musées, mais il en faudrait un d’une autre ampleur, un musée national, en lien avec des projets éducatifs. Un musée dans lequel on aurait envie d’aller, et qui serait en permanence renouvelé par les initiatives nouvelles qu’il proposerait.

L.V. : Comment êtes-vous passée de l’idée à vos premières initiatives ?

M.K. : En 2018, quand cette idée d’un musée ou d’un centre s’est dégagée dans ma tête, j’ai commencé à en parler, à évoquer l’idée avec beaucoup de gens, et ce faisant, cela a commencé à prendre forme, de manière presque magique. J’ai été invitée à participer à un programme aux États-Unis (IVLP – International Visitor Leadership Program) pour apprendre à travailler avec des organisations à but non lucratif par le biais de l’art. Au printemps 2019, nous avons commencé à avoir une existence juridique et la perspective d’ouvrir à l’automne 2019. Nous avions alors pour projet de faire une grande et belle exposition autour du photographe juif Moissei Nappelbaum. Nous avions contacté de nombreux partenaires potentiels. Mais il s’est avéré que le directeur du Goethe Institut à Minsk, ayant entendu une émission sur l’exposition « Amy Winehouse : A Family Portrait » du Jewish Museum of London, a appris qu’elle avait des origines bélarusses. Il s’est alors mis en tête de faire venir l’exposition à Minsk. C’était une énorme exposition, qui avait circulé pendant plusieurs années dans différents pays, différentes villes, mais qui était terminée. Alors, il a pris contact avec le musée à Londres et leur a dit : « Écoutez, ce serait tellement important pour Minsk d’avoir cette exposition ». Finalement, ils se sont mis d’accord pour que la dernière exposition ait lieu à Minsk. Une sorte de retour à l’envoyeur.

Ce qui était remarquable, c’est que ce n’était pas véritablement une exposition sur Amy Winehouse, reine de la pop. L’exposition s’intéressait davantage à ses racines familiales, à l’origine des Winehouse qui se sont toujours rappelés qu’ils venaient de Minsk. Même si la famille n’était jamais revenue au Bélarus, et qu’elle en était partie dans les années 1890, le pays demeurait très important pour eux. L’exposition a été créée en collaboration avec son frère aîné Alex et nous avons dû l’adapter – en particulier les panneaux explicatifs – au contexte du Bélarus. La veille de l’inauguration, nous avons même reçu les documents de la famille Winehouse provenant des archives historiques nationales.

Amy Winehouse, affiche de l’exposition « Un portrait de famille », 15 juin 2019-31 août 2019, Minsk. – The Belarusian-Jewish Cultural Heritage Center (BJCH)

Mais pour nous, c’était surtout une aubaine, au moment où nous ouvrions notre centre, de devenir les principaux organisateurs et partenaires de cet événement. C’était la première fois depuis 130 ans que la famille Winehouse, revenait dans le pays de leur arrière-grand-père et l’exposition, qui a connu un très bel accueil, a été accompagnée de conférences, des visites du conservateur en chef du musée juif de Londres, des membres de la famille Winehouse, etc. L’exposition était l’occasion parfaite de rappeler aux Bélarusses qu’il y avait des Juifs du pays qui sont partis, et de montrer aux Britanniques, en l’occurrence, à quoi ressemble ce pays d’où tant de Juifs ont émigré.

Enfin, nous avons organisé une grande fête intitulée « Amy from Minsk ». De nombreux Minskois sont venus habillés dans le style d’Amy. Pour nous, c’était aussi très important de montrer que ce patrimoine, cette histoire-là, peut aussi être racontée de manière très joyeuse et pas du tout ennuyeuse !

Vue de l’exposition consacrée à l’œuvre de Moissei Napplebaum, « Le portrait d’une époque » à Minsk – BJCH.

L.V. : Les projets se sont ensuite très vite succédé…

M.K. : Oui, après la fermeture de l’exposition Amy Winehouse, nous avons ouvert au Musée national d’histoire à Minsk, dans sa ville natale, l’exposition consacrée au maître du portrait photographique Moïsseï Nappelbaum, à l’occasion des 150 ans de sa naissance. Bien que personne au Bélarus ne le connaisse, on lui doit une galerie de portraits incroyables allant de Lénine à Anna Akhmatova, en passant par tous les acteurs de la vie culturelle et politique de l’époque. Nous avons décidé de présenter cent photographies originales en mettant en avant ses débuts de photographe à Minsk. L’idée de cette exposition, qui s’intitulait « Portrait d’une époque », était surtout de voir chaque photographie comme le reflet d’une époque ; ce qui nous a conduits à mettre autant l’accent sur l’œuvre du photographe que sur ceux qu’il a photographiés. À cette occasion, nous avons également organisé des conférences sur l’histoire de la photographie bélarusse, ainsi que des visites du Minsk juif.

L.V. : Vous avez aussi fait redécouvrir le groupe artistique Unovis[5].

M.K. : Nous avons programmé notre projet Unovis pour qu’il coïncide avec le centième anniversaire de la fondation de ce groupe artistique de Vitebsk, dont on ne savait pas grand-chose au Bélarus. Moi-même, je n’y connaissais pas grand-chose, mais lorsque je me suis rendu compte de ce que cela représentait, j’ai eu l’impression de tenir entre les doigts une sorte de diamant qui devait briller, et le Bélarus avec. Unovis est un groupe artistique qui a alimenté la création d’une grande partie de l’art contemporain de cette époque. Il est né à Vitebsk, au sein de l’école artistique de la ville. Les meilleurs des meilleurs artistes de l’époque, les plus innovants, venaient alors ici, à Vitebsk[6]. Pour l’exposition, nous nous sommes associés avec le musée d’histoire de l’école artistique de Vitebsk[7] qui a ouvert en 2018 dans les locaux de l’école fondée par Chagall.

UNOVIS en 1920. Malevitch au centre. Vitebsk – Wikipedia commons

Le projet Unovis a été imaginé comme une série d’événements importants qui illustreraient les différents domaines que ce groupe artistique a influencés. La première étape a été de créer le prix Khidekel pour l’innovation et les décisions écologiques dans l’architecture[8]. Lazar Khidekel est né à Vitebsk en 1904. C’est un architecte absolument incroyable, l’auteur du premier manifeste d’architecture écologique du XXe siècle et le premier architecte suprématiste[9]. Nous avons décerné le prix fin 2019 au Bélarus en faisant beaucoup de publicité autour de l’événement : Daniel Libeskind était dans le jury et le fils de Lazar Khidekel, Mark Khidekel, est venu spécialement de New York pour le remettre aux gagnants. C’était un geste très inspirant pour la jeune génération de Bélarusses. Lorsque nous sommes allés à l’Union des architectes, ils avaient les larmes aux yeux et nous ont dit : voilà ce qui peut être l’identité visuelle du Bélarus. Car l’architecture de Khidekel est absolument révolutionnaire, même pour nous aujourd’hui. Or, cet homme et ces idées ont vu le jour à Vitebsk. La mission que nous sommes donnés à travers tous ces projets est la même : montrer notre passé de manière à nourrir l’avenir. C’est pour ça que nous faisons appel à de nouvelles personnes, de jeunes et talentueux artistes qui vivent au Bélarus.

Inauguration de l’exposition consacrée à Lazar Khidekel – BJCH.

L.V. : Pouvez-vous nous parler de votre méthode ?

M.K. : C’est très important pour nous de mettre l’accent sur la communication autour de nos expositions et de nos projets, car lorsque les gens ne savent pratiquement rien d’un sujet, ou peuvent être spontanément sceptiques, la médiatisation permet d’attirer l’attention. C’est pour cette raison que nous n’avons pas commencé par chercher des fonds afin de trouver un lieu pour ensuite ouvrir ce musée et le remplir de tout un tas d’objets d’exposition. Notre stratégie a été différente. Nous avons choisi de combler le manque, l’absence en cherchant à impliquer autant d’organisations et d’institutions que possible, au Bélarus et hors du Bélarus, afin d’établir un réseau international avec lequel nous avons réfléchi ensemble à cette question : comment et quel musée juif peut-on créer au Bélarus aujourd’hui ? Dès le début, notre objectif a bien sûr été d’être le centre à partir duquel nous voulions créer et développer un musée juif au Bélarus, mais progressivement nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait aller au-delà de la simple création d’un musée.

L.V. : Une des spécificités du Bélarus est qu’il n’y a pas d’oligarques, de philanthropes ou de mécènes qui pourraient financer des initiatives artistiques. Il faut donc trouver l’argent ailleurs. Comment pouviez-vous procéder alors, en 2018-2020 ?

M.K. : Notre position a toujours été d’essayer d’établir le plus de partenariats possible. Tant que ça a été possible, nous avons monté des projets avec le secteur public, avec les grands musées du pays, grâce à l’appui, par conséquent, du ministère de la Culture, grâce à des institutions internationales comme le Goethe Institut ou grâce encore à des ambassades, ou à des entreprises bélarusses liées aux nouvelles technologies. Une partie de nos projets n’aurait, par exemple, pas été possible sans le programme d’aide du ministère des Affaires étrangères allemand. Il n’y a qu’en multipliant ces coopérations que nous avons pu monter des projets d’ampleur. Nous ne nous sommes fermés aucune porte et finalement, chaque partenaire a trouvé son intérêt dans les projets que nous lui proposions.

Maya Katznelson au MahJ, en juin 2022, devant la maquette de la synagogue de Volpe. Photographie de Lisa Vapné.

L.V. : Parmi ces partenariats, il y en a eu, aussi, avec le monde académique puisque vous avez été à l’initiative d’une grande conférence qui s’est finalement tenue en juin 2021 en ligne…

M.K. : Oui, après un an et demi de travail sur des projets artistiques importants, il était important d’avoir le soutien d’universitaires et d’experts venus du monde académique. Nous avions déjà des liens avec l’université de Southampton et avec l’Institut Goethe et nous avons donc commencé à organiser la première conférence internationale sur l’histoire et la culture des Juifs au Bélarus en réunissant un comité scientifique composé des meilleurs spécialistes.

Nous avions planifié cette conférence pour 2020 à Minsk. C’était important pour nous qu’elle se tienne au Bélarus. Mais, finalement, elle s’est tenue en ligne – ce qui est instructif pour la suite. L’évènement a été une réussite. Nous avons eu environ 700 inscriptions, ce qui est beaucoup pour une conférence scientifique. Cette conférence nous a surtout permis de comprendre quelles étaient nos lacunes. Il en ressort la nécessité que des jeunes chercheurs soient formés sur ces questions, a fortiori parce que nous n’avons pas de programmes spécialisés dans les universités au Bélarus sur l’histoire juive. L’autre fait marquant, c’est que les meilleurs spécialistes, ou disons les exposés qui nous ont semblé les meilleurs, venaient de chercheurs qui vivent en dehors du Bélarus ; ce qui n’est pas normal.

C’est pour ça que nous voulons organiser des écoles d’été et des formations spéciales pour préparer les jeunes chercheurs et leur donner l’occasion de travailler et de stimuler leur intérêt pour ces questions. Nous avons aussi créé un groupe de travail pour réfléchir à une plateforme en ligne innovante en parallèle du musée, qui est d’autant plus nécessaire tant que celui-ci n’existe pas. Ce groupe de travail est animé par des gens qui viennent de différentes universités – Southampton, Vilnius, Humboldt, du Michigan – et de musées, comme celui de Polin et celui de Paris. Cette conférence a donc été une étape très importante.

Synagogue de Slonim photographiée en 2006 – Wikipedia commons

L.V. : Les défis sont nombreux lorsqu’on regarde l’état du patrimoine juif bélarusse : il est soit en mauvaise condition de conservation, soit éparpillé dans le monde.

M.K. : Oui, c’est pour ça que nous avons aussi lancé un projet pilote appelé Belarus Shtetl. Il s’agit de la reconstruction en réalité virtuelle de la grande synagogue de Slonim, l’un des édifices les plus importants du patrimoine architectural juif dans le monde et qui est en très mauvais état. Il nécessite de gros investissements, ce qui est un problème et particulièrement en ce moment. Nous avons donc constitué une équipe de restaurateurs professionnels, d’artistes, de chercheurs et d’informaticiens pour recréer toutes les peintures murales, tous les éléments architecturaux. Nous avons également conçu une maquette de la synagogue à l’époque de sa plus grande prospérité, entre le XVIIe et le XIXe siècle. Enfin, en même temps, nous avons ouvert la possibilité d’une visite virtuelle, grâce à des équipements de réalité virtuelle. Il est ainsi possible de se promener virtuellement dans cette synagogue, d’interagir avec certains éléments, de zoomer sur eux, d’entendre des récits sur l’histoire juive de Slonim ou l’histoire du shtetl car la synagogue était plus qu’un lieu de culte, toute la vie s’y déroulait.

Intérieur de la synagogue de Slonim en l’état – BJCH.

Surtout, c’est un projet qui, lorsque nous l’avons présenté l’année dernière, a rencontré beaucoup de succès parmi les jeunes. Pourtant, il est assez difficile de rendre une synagogue attractive pour les jeunes ! Désormais, nous envisageons de multiplier l’expérience en recréant d’autres synagogues au Bélarus, qui refléteront également la diversité architecturale du monde du shtetl, car elles sont toutes de styles complètement différents. Au musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ) à Paris, il existe par exemple une maquette en bois de la synagogue de Volpe et nous allons créer ensemble une reconstruction de la synagogue de Volpe en réalité virtuelle, qui pourrait être présentée à la fois dans les musées et sur notre plateforme en ligne.

Quoi qu’il en soit, pour l’instant, nous développons une plate-forme sur laquelle on trouvera une exposition multimédia interactive en lien avec différentes expositions concrètes dans des musées non virtuels eux.

Intérieur de la synagogue de Slonim reconstitué sur la plateforme de réalité virtuelle.

Ce projet virtuel s’accompagne d’une réflexion sur la redéfinition de la conception classique du musée comme espace de conservation de collections. Mais, dans notre cas précis, nous n’avons de toute façon pas d’autres choix que de le redéfinir. C’est pour que cela qu’en ce moment nous créons ce musée en ligne participatif qui pourra faire des liens avec les différentes collections dans le monde.

L.V. : La question des collections est complexe pour un musée au Bélarus, car si le pays a vu naître des artistes très connus, et en particulier Marc Chagall, leurs œuvres sont dans les plus grands musées du monde et on ne voit pas comment ils pourraient se retrouver au Bélarus…

M.K. : Oui, la question des collections est complexe. En premier lieu, il nous faut, sur cette plateforme, faire un inventaire de ce patrimoine dispersé à travers le monde. Le groupe d’experts que nous avons constitué sera chargé de collecter et de cataloguer toutes les ressources disponibles sur divers sujets liés à l’histoire et à la culture juives au Bélarus. Ensuite, sur cette base, nous élaborerons des solutions pour exposer ces œuvres : cela pourra se faire en ligne ou hors ligne, et selon différents formats, dont par exemple la numérisation ou l’emprunt pour des expositions temporaires, etc.

L.V. : Est-ce que vous avez pensé à la question du retour de certaines œuvres, à une forme de restitution ?

M.Y. : Je ne pense pas que nous devions délibérément nous engager dans une lutte pour obtenir le retour d’œuvres. Mais ce que j’espère, c’est que beaucoup de gens originaires de la région fourniront spontanément des archives, des documents, des œuvres.


Entretien réalisé et traduit du russe par Lisa Vapné

Notes

1 En dix années, la population juive du pays est passée, selon les recensements officiels, de 111 977 en 1989 à 27 810 en 1999. Nacional’nyj sostav naseleniâ Respubliki Bélarus’i rasprostranennost’ âzykov. Statiščeskij sbornik, Ministerstvo Statistiki i Analiza Respubliki Bélarus’, (Composition nationale de la population de la République de Bélarus et répartition des langues. Recueil de statistiques), Minsk, 2001, p.16.
2 Moshe Koulbak est un écrivain de langue yiddish, né à Smorgon ou Smarhon dans l’actuel Bélarus. Il fait partie des écrivains juifs arrêtés et exécutés à Minsk en 1937.
3 On peut écouter le poème Raysn (« Biélorussie ») publié en 1922 sur ce site lu en yiddish et traduit en anglais. https://yiddishkayt.org/raysn/
4 http://navagrudak.museum.by/node/39064, site en langue bélarusse, russe et anglais.
5 Unovis comme Utverditeli Novogo Iskusstva, consolideurs d’un art nouveau.
6 Claire Le Foll, L’école artistique de Vitebsk (1897-1923). Éveil et rayonnement autour de Pen, Chagall et Malevitch, L’Harmattan, 2002.
7 https://www.vitebskavangard.by/muzej-istorii-vnhu/, le site Internet est en langue russe.
8 https://bjch.center/lazarkhidekelaward/eng
9 Courant artistique issue du cubisme qui n’use que des éléments géométriques et de contrastes de couleurs dans sa production.

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