À propos de la pétition « The Elephant in the room » : Réponse de Joel Whitebook

Près de 2500 personnalités publiques, pour la plupart israéliennes et américaines (dont un très grand nombre d’universitaires), ont signé une lettre ouverte, The Elephant in the room, appelant à s’élever contre le « but ultime » de la réforme judiciaire portée par le gouvernement israélien actuel : le maintien du « régime d’apartheid ». Cette dernière qualification est contestable – et contestée même par certains des signataires de la pétition. Pourquoi néanmoins l’avoir signée ? Réponse de Joel Whitebook.

 

>>> A propos de la lettre ouverte The Elephant in the room, lire : « Apartheid : un éléphant peint en rouge ».

 

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Vous avez signé une pétition qui est un cri d’alarme concernant la politique actuelle d’Israël et la lente évolution ayant abouti à une telle situation. La présente pétition utilise le terme d’ « apartheid » pour décrire ladite politique, telle qu’elle est menée tant à l’intérieur des frontières que dans les territoires occupés, et approuve le recours à ce vocable pour décrire la situation israélienne. Votre signature au bas de la pétition a-t-elle valeur de mea culpa dans la mesure où vous admettez que la description était déjà valable auparavant ? Ou bien avez-vous signé et choisi cette formulation pour dénoncer la politique actuelle du gouvernement d’extrême droite en Israël ?

Loin de penser ma signature comme un mea culpa pour ne pas avoir fait connaître ma position plus tôt, j’ai accueilli la pétition comme une occasion de soutenir effectivement des opinions que je défends depuis longtemps. Je comprends pourquoi les auteurs de la pétition ont choisi d’utiliser le terme controversé d’ « apartheid » pour défendre leur cause. Pour de bonnes raisons, ils ont voulu souligner l’urgence sans précédent de la situation. En outre, qu’Israël soit ou non un État d’apartheid à l’heure actuelle, il est indubitablement en passe de le devenir. Ma principale préoccupation, cependant, n’est pas le terme lui-même, mais les conditions épouvantables et indéfendables qu’il est censé désigner, notamment l’occupation illégale des territoires, la violation des droits fondamentaux du peuple palestinien, ainsi que la violence et l’humiliation quotidiennes qui lui sont infligées.

Je rejette l’affirmation, parfois faite par des antisionistes juifs et non juifs, selon laquelle l’état actuel des choses révèle la véritable essence du sionisme – elle est essentialiste et historiquement inexacte.  L’hétérogénéité et la taille même du mouvement sioniste rendent impossible ce genre d’affirmation.  Je ne crois pas, cependant, que la crise actuelle soit seulement le résultat d’une coalition aberrante de racistes de droite, de nationalistes et de fanatiques religieux qui auraient détourné le système, mais plutôt qu’elle représente l’aboutissement de tendances qui se sont manifestées pendant des décennies dans la politique israélienne.

La première d’entre elles a été le refus persistant du parti travailliste de se confronter réellement au mouvement des colons et de se pencher sur le sort des Palestiniens, pensant qu’il pourrait « gérer » les problèmes indéfiniment, même si c’était au prix de flambées de violence considérables et régulières. Un fait gênant rarement mentionné est que davantage de colonies ont été construites sous Ehud Barak que sous n’importe quel autre Premier ministre.  Dans un article souvent cité, Hillel Halkin a déclaré : « Depuis des années, Israël me donne l’impression d’un homme somnambule se dirigeant vers une falaise. Aujourd’hui, nous sommes tombés ».  J’ajouterais que le fait d’éluder la question palestinienne a largement contribué à cette somnolence.

Bien que je sois d’accord avec la déclaration de la pétition selon laquelle « il ne peut y avoir de démocratie pour les Juifs en Israël tant que les Palestiniens vivent sous un régime d’apartheid », je voudrais souligner qu’elle a plusieurs significations. L’une concerne le fait évident que la volonté d’annexer la Cisjordanie est un élément moteur de l’attaque contre le système juridique israélien. Une autre concerne un motif implicite de la pétition : soulever une question sur les manifestations pro-démocratiques elles-mêmes.  Après une longue période pendant laquelle les libéraux israéliens ont été relativement inactifs, nous, Juifs de gauche de la diaspora, avons été émus et fiers de voir des centaines de milliers de manifestants descendre dans la rue semaine après semaine pour lutter en faveur de la démocratie. Mais en même temps, une question fondamentale reste sans réponse :  Jusqu’où les manifestants sont-ils prêts à aller ? Se contenteront-ils de revenir au statu quo ante, c’est-à-dire à la version de la démocratie qui était en place avant le gouvernement actuel et qui privait largement les Palestiniens de leurs droits ?  Ou bien élargiront-ils la lutte pour la démocratie à la cause palestinienne ?  N’oublions pas que bon nombre des citoyens laïques et prospères de Tel-Aviv qui sont aujourd’hui  dans la rue se contentaient de garder le silence sur la cause palestinienne tant que leur propre situation n’était pas menacée. Un article récent paru dans Haaretz suggère que les manifestations pourraient en fait s’étendre à un éventail plus large de questions.

Ce que j’ai à dire sur le terme « colonialisme » ou « colonialisme de peuplement » est similaire à ce que j’ai dit sur « l’apartheid ». À mon avis, il n’est pas complètement farfelu de décrire l’histoire d’Israël, ainsi que celle des États-Unis, comme un cas de « colonialisme de peuplement ». Là encore, ma première source de préoccupation n’est pas l’exactitude du terme. Il me paraît cependant nécessaire de m’opposer à la manière dont il est utilisé dans certains cercles pour s’opposer au droit d’Israël à exister. Tout d’abord, l’argument repose sur l’hypothèse puérile que pour qu’un État soit légitime, il devrait être le produit d’une conception immaculée. Si tel était le cas, il y aurait peu d’États légitimes. On peut voir l’absurdité de l’argument en comparant le cas d’Israël à celui des États-Unis. Quels que soient les crimes commis par les sionistes, ils n’ont qu’une importance dérisoire par rapport à l’esclavage et au génocide qui ont été essentiels à la création de la « City on the hill ».  Pourtant, qui de raisonnable prétendrait que cela invalide le droit à l’existence des États-Unis ?  La question qui se pose aux Israéliens comme aux Américains est de savoir où nous allons dès lors que nous avons reconnu que nos histoires étaient entachées de sang.

Cette dynamique consistant à dire « Plus jamais le silence » dépasse-t-elle le simple fait d’ouvrir les vannes de la critique ? En d’autres termes, avez-vous l’intention d’initier dans les relations entre la diaspora et Israël un changement dans lequel cette dernière ne se contentera pas de pouvoir exprimer son opinion sur la politique interne de l’État hébreu, mais ira jusqu’à prendre ses distances lorsque ladite politique dérogera aux règles d’un État de droit ? Voyez-vous l’émergence d’un changement dans l’équilibre du monde juif ?

Parce que je suis un Juif américain, et à la lumière de la relation unique entre les États-Unis et Israël, je n’aborderai pas la question par rapport à la diaspora en général, mais seulement par rapport aux États-Unis. Soyons clairs, je ne veux pas seulement « initier un changement du rapport des Juifs américains à Israël », je pense que ce changement est depuis longtemps nécessaire. Très tôt, ma mère – qui a été élevée dans une famille sioniste fervente – m’a dit que nous n’avions pas le droit de critiquer Israël parce que nous n’étions pas confrontés aux difficultés et aux dangers auxquels les Israéliens devaient faire face au quotidien. Je pense que cette attitude était relativement répandue dans la communauté juive américaine d’après-guerre et que cette interdiction a joué un rôle important dans l’évolution des relations entre les Juifs américains et Israël. De mon point de vue actuel, je considère l’injonction de ma mère comme le produit d’un ensemble complexe de motivations. Il s’agissait, d’une part, d’un sentiment de culpabilité pour avoir échappé au sort de ses proches en Europe de l’Est, pour ne pas avoir fait plus pour secourir les victimes de la Shoah et pour ne pas avoir fait son Aliya, et, d’autre part, de l’impératif parfaitement compréhensible de soutenir et de défendre l’État juif naissant et menacé. Toutefois, aussi compréhensible qu’ait pu être cette interdiction à l’époque, je pense que sur le long terme, elle n’a pas servi au mieux les intérêts d’Israël. En réduisant les critiques au silence, elle a non seulement permis à l’establishment israélien de continuer à éluder la question palestinienne, mais elle a également permis aux partisans du pays de faire adopter par un Congrès peu tatillon des lois favorables à l’État d’Israël et à sa politique.

La tentative de mettre l’antisionisme sur le même pied que l’antisémitisme représente le dernier effort en date pour faire taire les critiques à l’égard de la politique et des actions israéliennes. Il ne fait aucun doute que cette mise en équivalence doit être catégoriquement rejetée et qu’un espace doit être défendu dans lequel des critiques légitimes d’Israël peuvent être formulées.  Mais il y a un autre aspect qu’il faut aussi reconnaître ouvertement Il y a une longue histoire, en particulier à gauche, dans laquelle l’antisionisme a en fait été utilisé comme un véhicule pour l’expression camouflée de l’antisémitisme. Nous devons donc affirmer la proposition suivante. S’il est vrai que l’antisionisme n’est pas synonyme d’antisémitisme, il est également vrai que l’antisionisme peut servir et a servi de couverture à l’expression de sentiments et d’idées antisémites. Une difficulté similaire peut survenir lorsque l’on critique les développements dans le monde musulman. Tout comme l’islamophobie est un phénomène réel qui doit être vigoureusement combattu, brandir l’accusation d’islamophobie est également un outil fort prisé pour faire taire des critiques légitimes.

L’argument selon lequel les Juifs américains n’ont pas leur mot à dire dans la politique intérieure d’Israël est erroné à plusieurs égards. En premier lieu, il repose sur la négation de la dépendance historique d’Israël à l’égard du soutien de la communauté juive américaine. Sur la durée, et surtout depuis la guerre des Six Jours, la sécurité et le remarquable développement économique d’Israël seraient inconcevables sans cette aide. Pourtant, je dirais que les Israéliens ont, dans l’ensemble, eu besoin de nier cette dépendance pour des raisons psychologiques et politiques. Sur le plan psychologique, le fait de la reconnaître menacerait l’image contre-phobique qu’ils ont d’eux-mêmes, où ils se représentent comme invincibles et autosuffisants, l’antithèse complète du Juif du shtetl, faible et dénigré. La déclaration indignée de Menachem Begin, selon laquelle l’Amérique ne devrait pas traiter Israël comme « une république bananière », était une fanfaronnade dont la grandiloquence trahissait la fragilité réelle de ce sentiment d’autosuffisance. Je dois cependant ajouter que la contre-phobie n’est pas toujours inadaptée. À un moment donné, cette image exagérée de soi a pu être nécessaire dans la mesure où elle a soutenu une nation vulnérable dans sa lutte pour surmonter des obstacles apparemment insurmontables.

Sur le plan politique, ce déni a permis aux Israéliens de bénéficier du soutien fiable des Juifs américains tout en leur interdisant de soulever des questions sérieuses sur de nombreuses politiques malavisées. Finalement, avec son intervention sans précédent devant le Congrès pour tenter de bloquer l’accord sur le nucléaire iranien, qui représentait une tentative éhontée de ménager la chèvre et le chou, Benjamin Netanyahou a en quelque sorte vidé de sa substance l’argument de jure qui interdit d’intervenir dans les affaires intérieures d’une nation souveraine. 

S’il est légitime pour les Juifs américains – qui sont attachés au droit sans équivoque d’Israël à exister, mais profondément troublés par la direction prise par le pays – de critiquer sa politique, il est également légitime pour eux, en tant que citoyens américains, de protester contre la politique étrangère de leur pays dans la mesure où elle facilite cette trajectoire troublante. En fait, je dirais même que c’est leur devoir. Il y a une cible évidente pour cette protestation, à savoir la partie de l’aide militaire de près de quatre milliards de dollars fournie par les États-Unis à Israël qui est utilisée pour renforcer sa politique à l’égard de la Cisjordanie et opprimer les Palestiniens qui y vivent.

Cette aide viole non seulement les lois américaines établies et un large consensus international concernant l’illégalité de l’occupation, mais elle détourne également l’argent des contribuables de problèmes intérieurs urgents, notamment le changement climatique, l’effondrement des infrastructures, la crise du logement et un système de protection de la santé scandaleux. Et ce alors qu’Israël – dont l’économie se classait en 2022 au quatrième rang des pays développés – est capable de se débrouiller tout seul. En outre, les Américains qui critiquent le budget colossal de leur propre défense devraient noter qu’une part importante de l’aide militaire accordée à Israël est reversée à des entreprises telles que Boeing et Lockheed Martin. Au point où on est arrivé, les Juifs américains devraient utiliser tous les moyens de pression dont ils disposent auprès de l’administration actuelle pour inciter M. Biden à faire pression sur M. Netanyahu afin qu’il mette fin au coup d’État.

Il est de plus en plus évident qu’une partie importante de la communauté juive américaine, traditionnellement libérale, est en passe de se détourner de son soutien historique à Israël. Le souvenir de la Shoah et du statut d’Israël en tant qu’outsider héroïque luttant pour son existence est en train de s’estomper, ce qui est particulièrement vrai pour la jeune génération – qui, en outre, s’identifie de plus en plus à Black Lives Matter, au mouvement LGBTQ et à d’autres luttes de libération, et considère largement les Israéliens comme les oppresseurs des Palestiniens.  L’accointance de M. Netanyahou avec des personnages aussi détestables que Donald Trump et Victor Orban n’arrange pas la situation. À mon avis, ces évolutions doivent être saluées dans la mesure où elles aboutissent à une communauté juive plus autonome, qui ne se sent pas obligée de se soumettre à une ligne de conduite, mais qui est libre de développer une position indépendante et réfléchie à l’égard de la politique israélienne et de la politique américaine.  

La question de savoir comment les Israéliens réagiront à un tel scénario n’est pas tranchée.  Mais le commentaire de l’ancien ambassadeur du pays aux États-Unis, Ron Dermer, selon lequel Israël devrait rechercher le soutien « passionné et sans équivoque » de la communauté chrétienne évangélique et ne pas se préoccuper des Juifs américains « qui figurent de manière disproportionnée parmi nos détracteurs », n’inspire pas confiance. La déclaration de Dermer rappelle un commentaire similaire qu’aurait fait un autre diplomate, le secrétaire d’État de Ronald Reagan, James Baker III : « Fuck the Jews, the Jews don’t vote for us anyway » (« J’emmerde les Juifs, les Juifs ne votent pas pour nous de toute façon »).

La pétition parle au nom de la diaspora juive américaine et recrute la plupart de ses signataires dans les universités en Israël et aux États-Unis. Ces signataires comprennent à la fois des antisionistes et des sionistes. Comment comprendre une telle coalition ? Et quel mouvement cohérent pourrait en résulter en Israël même ? N’est-elle pas en tension avec la mobilisation démocratique de ces derniers mois qui, s’enracinant dans le rappel de la Déclaration d’indépendance de 1948, apparaît donc authentiquement sioniste face à un gouvernement accusé de trahir le sionisme ?

Là encore, je m’abstiendrai d’aborder la question terminologique. En effet, ne pas le faire pourrait même avoir plus de sens avec le « sionisme » qu’avec l’ « apartheid » et le « colonialisme ». La question suppose qu’il existe une définition claire du « sionisme », ce qui n’est guère le cas. Pour paraphraser une blague juive bien connue, « Mettez deux sionistes dans une pièce et vous obtiendrez trois définitions du ‘sionisme’ ».  En outre, bien que les questions du type « de quel côté êtes-vous ? » (êtes-vous un vrai communiste, une vraie féministe ou un vrai sioniste ?) puissent être utiles pour mobiliser les électeurs, elles ne se prêtent pas, d’après mon expérience, à des jugements politiques différenciés et efficaces.  

Appelez cela comme vous voulez, ce que je veux défendre n’est pas seulement le droit pour un État juif d’exister, mais d’exister dans la paix et la sécurité. Parce que je suis un laïc, je ne fonde pas mon argumentation sur un appel à l’histoire ancienne ou à la Bible. Pour moi, la Shoah – le fait que les nations dites civilisées du monde aient permis qu’elle se produise – constitue l’argument décisif justifiant l’existence d’un État dans lequel les Juifs sont en charge de leur propre destin. En conséquence, je soutiens la solution à deux États, car, compte tenu de la logique de la situation, c’est le seul moyen que je puisse concevoir pour assurer la survie à long terme d’un État juif démocratique et digne d’être défendu. Mon raisonnement se fonde sur des considérations démographiques bien connues.

Bien que les statistiques soient contestées par les politiciens de droite, des sources fiables prédisent que la population arabe dépassera la population juive en Israël proprement dit et dans les territoires occupés dans les vingt à trente prochaines années. Si cela devait se produire, la solution à un seul État se traduirait par la domination d’une minorité juive sur une population arabe plus nombreuse qu’elle. On peut affirmer que si Israël n’est pas un État d’apartheid aujourd’hui, il le deviendrait certainement dans ces circonstances.  

D’un point de vue purement conceptuel, il est donc difficile de voir comment un tel résultat pourrait être évité sans une solution à deux États. Il faut cependant admettre que cette solution a toujours été incertaine. En effet, Yitzhak Rabin était peut-être le seul à pouvoir y parvenir en raison de sa stature unique et de ses qualifications militaires. En l’assassinant, Yigdal Amir, un sioniste de droite qui pensait que ses actes étaient imposés par la loi juive, a voulu s’assurer que cela n’arriverait pas. Récemment, après tout ce qui s’est passé dans les années qui ont suivi, un argument a gagné du terrain qui rejette la solution à deux États pour des raisons pratiques et de principe. Sur le plan pratique, ses partisans affirment qu’elle n’est tout simplement plus possible, que, comme ils le disent, le train a quitté la gare il y a longtemps.  En ce qui concerne l’argument de principe, depuis la création d’Israël, les sionistes libéraux se sont efforcés de résoudre la quadrature du cercle et d’expliquer comment un État, avec une population arabe importante, peut être à la fois juif et démocratique. Aujourd’hui, un certain nombre de progressistes et de représentants du mouvement pour la paix ont conclu que ce n’était pas possible. Ils préconisent donc une solution à un seul État qui prendrait la forme d’un État binational, fondé sur les principes de la démocratie libérale et gouverné conjointement par les Arabes et les Juifs, qui protégerait les droits des deux groupes.

Cette solution d’un seul État séduit à juste titre les personnes attachées aux principes de la démocratie libérale. En outre, elle peut être défendue de manière plausible sur le plan théorique.  Néanmoins, si on est réaliste, elle relève de ce que Hegel appelait « un devoir sans contenu ».   Compte tenu de la longue histoire d’inimitié, de suspicion et d’effusion de sang entre les deux groupes, la confiance nécessaire à la création d’un État binational n’existe pas. En effet, dans l’une de ses dernières interviews, un Edward Said mélancolique a admis à Ari Shavit qu’il comprenait pourquoi il serait pratiquement impossible pour les Juifs israéliens de confier la protection de leurs droits aux Arabes. Enfin, il convient de mentionner l’éléphant le plus massif de la pièce. Il est en effet inimaginable que les politiciens israéliens, toutes tendances confondues, partagent les codes nucléaires avec qui que ce soit, et encore moins avec leurs ennemis de longue date. En d’autres termes, l’existence de l’engin apocalyptique en tant que garant ultime de la souveraineté et de la survie d’Israël exclut la possibilité d’une solution démocratique avec un seul État, telle qu’envisagée par les libéraux.

Si on exclut à la fois la version autoritaire et la version démocratique de la solution à un seul État, alors la solution à deux États, basée sur un divorce assumé, comme l’a suggéré Amos Oz, et peut-être articulée à une sorte de fédération, est la seule option restante – aussi minces que soient les chances d’y parvenir.

Si tel est le cas, deux conclusions s’imposent. Toute personne attachée à la survie d’Israël en tant qu’État juif digne d’être défendu doit s’efforcer de maintenir vivante la possibilité d’une solution à deux États. Et parce que la reconnaissance des droits des Palestiniens est la condition préalable pour y parvenir, ils doivent également faire tout ce qui est en leur pouvoir pour promouvoir cette reconnaissance.


Joel Whitebook

Joel Whitebook est un philosophe et un psychanalyste. Il fait actuellement partie de la faculté du Centre de formation et de recherche psychanalytique de l’Université de Columbia où il est directeur du programme d’études psychanalytiques de l’Université. Il est l’auteur de ‘Perversion and Utopia‘ (1995), de ‘Freud: an intellectual biography’ (2017) et de nombreux articles.

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