Dans cet entretien avec Danny Trom, Yehudah Mirsky revient sur les racines intellectuelles et spirituelles du sionisme religieux, de ses tensions internes à ses traductions contemporaines. En filigrane : la figure du Rav Kook, à la fois mystique, visionnaire, et aujourd’hui revendiqué par les courants les plus opposés de la scène sioniste-religieuse israélienne. À travers cette trajectoire une question affleure : comment un courant né d’un idéal de réconciliation entre tradition et modernité a-t-il pour partie dérivé en devenant le vecteur d’un messianisme nationaliste agressif.

Danny Trom : Pour entamer la conversation, j’aimerais savoir quelle est selon vous la meilleure définition que l’on puisse donner du sionisme religieux.
Yehudah Mirsky : Je pense qu’il est préférable de considérer le sionisme de manière descriptive, comme un terme couvrant le dénominateur commun d’un large éventail de courants qui l’utilisent pour se décrire depuis près d’un siècle et demi. Dans cette acception, le sionisme est la position selon laquelle la survie juive, physique et/ou culturelle-spirituelle, dans les conditions historiques actuelles, requiert l’existence d’un collectif juif d’un genre nouveau, situé sur la terre historique d’Israël. Cette définition nous permet d’englober tout le spectre, de Martin Buber[1] à Meir Kahana[2]. Les questions internes déterminantes deviennent alors : Qu’entendez-vous par survie physique ? Qu’entendez-vous par survie culturelle ? Et quelle est la relation entre les deux ? Un collectif juif d’un genre nouveau – mais qu’entendons-nous par nouveau ? C’est là que les divergences éclatent.
Le sionisme est apparu comme l’une des réponses au « problème juif » qui a secoué l’Europe, l’Empire ottoman et d’autres pays à la fin du XIXe siècle. Mais de quoi s’agissait-il au juste ? Selon la magnifique formule d’Achad Ha’am[3], il s’agissait en fait de deux problèmes : le problème des Juifs (antisémitisme, pauvreté, etc.) et le problème du judaïsme (pourquoi continuer à être juif après les stupéfiantes transformations intellectuelles, politiques, sociales et culturelles de la modernité ?).
Le sionisme apparaît donc comme un ensemble de réponses aux problèmes distincts – mais liés – des Juifs et du judaïsme. Mais il n’y a pas que le sionisme ; la plupart des mouvements juifs modernes, qu’il s’agisse du judaïsme réformé, du bundisme[4], du socialisme, de l’ultraorthodoxie, du libéralisme juif et d’autres encore – et chacun avec ses innombrables variantes – se présentent comme des tentatives de répondre aux problèmes des Juifs et du judaïsme, et ces réponses varient selon la manière dont chacun définit lesdites questions.
Ainsi, lorsque nous parlons du sionisme religieux d’hier et d’aujourd’hui, nous parlons d’un certain ensemble de réponses au « problème juif », un ensemble de réponses avec beaucoup de débats internes et de variations propres. D’une manière générale, les sionistes religieux qui se décrivent comme tels ne sont pas simplement des religieux qui se trouvent être sionistes, mais un groupe de traditionalistes religieux qui soutiennent néanmoins fondamentalement l’entreprise sioniste dans son principe, dans le cadre de leur compréhension de la vie religieuse juive.
DT : Pourriez-vous nous donner plus de détails sur le moment et la manière dont le sionisme religieux s’est développé ?
YM : Les groupes et les courants du XIXe siècle que nous qualifions aujourd’hui de proto-sionistes œuvrant à la création d’une nouvelle communauté et d’une nouvelle culture juive en Terre d’Israël comptaient de nombreuses figures religieuses. Une note autobiographique personnelle : le premier de mes ancêtres à venir ici, en Terre d’Israël, est arrivé en 1811 de Lituanie dans le cadre de ce que l’on appelle l’Aliyat Talmidei Ha-Gra[5]. Il existe un débat historique important sur ce qui motiva ces personnes, mais elles et leurs descendants étaient des traditionalistes qui œuvraient également à la création de nouvelles institutions conformes aux idées modernes sur la productivité économique et l’autosuffisance, l’exploration intellectuelle, l’expression littéraire, etc. Ils faisaient partie d’autres groupes plus importants partageant les mêmes idées en Europe et ailleurs.
DT : Mais l’on pourrait tout aussi bien dire que ce que vous considérez comme du proto-sionisme n’était pas en fait du sionisme, puisqu’il ne portait pas de projet politique ?
YM : Certes, je l’ai appelé proto-sionisme, mais c’est une fois que Herzl a créé le mouvement sioniste, que ces proto-sionistes, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, ont dû décider ce qu’elles allaient penser et faire à ce sujet. Un certain nombre d’entre elles ont participé à la création, en 1902, du premier parti sioniste explicitement religieux au sein de l’Organisation sioniste mondiale, le Mizrachi[6]. L’une des questions auxquelles ils ont dû se confronter était de savoir s’ils voulaient poursuivre leur travail religieux et culturel visant à redynamiser le judaïsme traditionnel à travers le nouveau mouvement sioniste. Pour les fondateurs du Mizrachi, il valait mieux séparer les deux : ils comprenaient clairement les divergences spectaculaires entre le sionisme et la vie religieuse traditionnelle, même s’ils considéraient le sionisme comme la meilleure réponse à apporter aux handicaps politiques, sociaux et économiques des Juifs. Depuis des décennies, au sein du Hibat Zion[7] et ailleurs, ils exploraient de façon créative l’intégration des apports de la pensée moderne au judaïsme, sans toutefois considérer le sionisme politique comme le vecteur approprié pour ce travail culturel et spirituel.
Les membres du Hibat Zion n’étaient pas tous religieux, malgré leur origine est-européenne, et ne nourrissaient pas d’aspirations politiques nationales, notamment parce qu’à l’époque, pour autant que l’on puisse en juger, les empires européens semblaient destinés à perdurer, que ce soit en Europe ou ailleurs. C’est un point que je ne cesse de rappeler à mes étudiants. Lorsque Theodor Herzl convoqua le premier congrès sioniste en 1897, il était loin de se douter non seulement qu’il allait bientôt mourir, mais aussi que les Ottomans, les Habsbourg et les Romanov allaient disparaître, que la Grande-Bretagne allait s’imposer comme puissance dominante en Palestine, et bien d’autres choses encore – personne ne s’en doutait. Tout comme nous aujourd’hui, qui avançons à tâtons dans l’ignorance totale de ce que l’avenir nous réserve.
De nombreux penseurs orthodoxes ont compris avec perspicacité que le sionisme est un mouvement profondément sécularisant, un désenchantement de la tradition.
DT : Le sionisme a été, à juste titre, décrit avant tout comme une révolte contre la tradition, donc porteur d’un projet politique moderne. Or, vous avez dit que le sionisme religieux était lié à la tradition. Comment expliquer cette contradiction ?
YM : Permettez-moi de développer. Bien sûr, d’une certaine manière, il s’agit d’une rébellion contre la tradition, mais celle-ci reste profondément, bien que dialectiquement, liée à la tradition. Bien sûr, le sionisme n’aurait pas pu voir le jour sans les aspirations traditionnelles au retour des Juifs à Sion, etc. Il est difficile de dire que pour Herzl, son sionisme était une révolte consciente contre la tradition, car il avait lui-même une idée très limitée de ce qu’était la tradition au départ. Mais oui, une grande partie de l’avant-garde idéologique, en particulier dans le sionisme d’Europe de l’Est, est composée de personnes qui se considèrent en rébellion ouverte contre la tradition juive, rébellion d’autant plus intense qu’elles ont été élevées dans une société traditionnelle et religieuse. Dans le même temps, la plupart des masses juives traditionnelles d’Europe de l’Est considèrent le sionisme comme la perpétuation des traditions d’espoir messianique par des moyens différents. Bien sûr, beaucoup d’autres ne voyaient pas les choses ainsi, notamment les nombreux rabbins orthodoxes qui s’opposaient farouchement au sionisme et avaient d’excellentes raisons d’agir ainsi.
Ces rabbins percevaient le sionisme avant tout comme une succession de renoncements : d’abord à la loi halachique qui avait structuré la vie juive pendant des siècles; ensuite à la tradition politique rabbinique, qui prônait l’acceptation de la condition minoritaire sous des majorités non juives, considérée comme un exil décrété par Dieu et destiné à ne prendre fin que lorsque Dieu lui-même en déciderait, en récompense de la fidélité à la halacha et à la tradition[8].
Et bien sûr, lorsqu’il s’agit des dimensions culturelles du sionisme, de nombreux penseurs orthodoxes ont compris avec perspicacité que le sionisme était un mouvement profondément sécularisant, un désenchantement de la tradition. Prenons par exemple le nouvel usage de l’hébreu comme langue parlée au quotidien. Eliezer Ben Yehuda, figure centrale de la création de l’hébreu moderne parlé, défie ouvertement les textes traditionnels qu’il exploite pour sa nouvelle langue.
Par exemple, dans le premier chapitre d’Ézéchiel, les cieux s’ouvrent et le prophète a une vision époustouflante de Dieu. Au sommet de la manifestation divine, planant au-dessus du trône de Dieu, se trouve une lumière mystérieuse, appelée « Khachmal », un mot qui n’apparaît qu’une seule fois dans tous les textes sacrés juifs (Ézéchiel 1 :27). Et voilà le mot que Ben Yehuda choisira pour désigner l’électricité ordinaire. Il vide les mots sacrés de leur transcendance, tout comme le sionisme en général vide de leur charge sacrée les idées traditionnelles, non seulement au niveau de la langue, mais aussi des conceptions de la terre et du peuple, précisément pour qu’elles servent désormais d’outils à la construction de la nation plutôt que de vecteurs du divin. Il n’est donc pas surprenant que tant de rabbins s’y soient opposés.
Les rabbins qui, comme mentionné précédemment, fondèrent en 1902 le parti sioniste religieux Mizrahi au sein du mouvement sioniste, exploraient déjà les frontières entre modernité et tradition juive, sans toutefois inscrire leur engagement sioniste dans cette réflexion. Leur position de principe était que le sionisme représentait la meilleure option disponible pour améliorer la condition sociale, politique et économique des Juifs, à condition de laisser la religion et la culture en dehors de ce projet. Par ailleurs, l’une des raisons pour lesquelles Haïm Weizmann[9] s’imposa très tôt comme une figure marquante du mouvement sioniste tient au fait qu’il fut parmi les premiers à chercher une synthèse entre le sionisme politique de Herzl et le sionisme culturel d’Achad Ha’am. Contrairement à Achad Ha’am, qui assumait un certain élitisme, Weizmann aspirait à bâtir un véritable mouvement de masse.
DT : Ne peut-on dire que la faction démocratique de Weizmann au début du Congrès sioniste ait cherché à aligner le programme politique de Herzl sur un programme culturel, en mettant l’accent sur la promotion de la langue hébraïque et non de la religion ? Et la position initiale du Mizrachi, en particulier celle du rabbin Reines[10], son leader, n’était-elle pas celle d’une séparation stricte entre le messianisme et les impératifs politiques de l’époque, chacun relevant d’une sphère distincte ? Cette séparation a permis au rabbin Reines de se rallier à Herzl sur le plan politique. L’intéressé a également déclaré qu’il fallait éviter de mélanger la dynamique messianique et la politique quotidienne. Que pensez-vous de cet éloignement du concept original du sionisme religieux ?
YM : Comme je l’ai déjà dit, le sionisme religieux a pris de nombreuses formes et, bien sûr, le sionisme résolument politique et non messianique de Reines occupe une place importante dans son histoire.

Le courant Mizrahi (acronyme pour « Merkaz Ruhani », littéralement centre religieux[11]) dominant s’est caractérisé dès le début par un grand pragmatisme politique, tout comme, à bien des égards, le HaPoel HaMizrahi, le parti ouvrier Mizrahi explicitement de gauche fondé une vingtaine d’années plus tard, lequel se considérait comme un acteur de la révolution culturelle du sionisme. Pendant plusieurs décennies, ces deux courants parallèles du sionisme religieux, bourgeois et socialiste, se sont de plus en plus engagés dans les questions culturelles et religieuses. En 1956, ils ont fusionné pour créer le Parti national religieux, principal vecteur de la politique sioniste religieuse pendant les cinquante années suivantes, et résolument modéré jusqu’au milieu des années 1970 avant de se tourner explicitement vers le messianisme après la guerre d’octobre 73. Le Parti national religieux a commencé à se diviser avec le désengagement de Gaza en 2005, donnant finalement naissance aux différents courants sionistes religieux actuels.
DT : Pensez-vous qu’un simple pragmatisme pourrait réellement tempérer l’idéologie religieuse messianique ?
YM : Non, pas un pragmatisme « simple » — au sens technocratique ou désenchanté du terme. Mais un pragmatisme religieux, enraciné dans des principes, c’est tout autre chose. Les dimensions religieuses ne sont jamais loin de la surface en politique, surtout chez les Juifs ; la question est de savoir comment elles se traduisent ou non en une philosophie de l’histoire et en une idéologie politique.
Cette traduction conceptuelle peut prendre différentes formes ; Reines et une grande partie du courant dominant Mizrahi se considéraient comme appliquant directement les vertus rabbiniques traditionnelles de modération politique aux circonstances radicalement changées de la modernité. Cependant, à la fin des années 1930, d’importantes figures traditionnelles, telles que Judah Leib Maimon ou les grands rabbins Isaac Herzog et Ben-Zion Uziel (tous des penseurs importants méritant une attention particulière), considéraient le sionisme comme un vecteur de renouveau religieux, même en l’absence de toute théologie politique messianique.
Une autre forme de traduction consiste en la critique politico-théologique du sionisme perçu comme une forme d’idolâtrie nationaliste. À bien des égards, le meilleur représentant de cette approche est Isaac Breuer (1883-1946)[12], qui formule une critique du sionisme à partir d’un mélange d’ultraorthodoxie et de néo-kantisme (et contrairement à d’autres antisionistes ultraorthodoxes, le fait à partir d’un engagement profond dans la philosophie moderne et la théorie politique). Le grand-père de Breuer, le légendaire rabbin Samson Raphael Hirsch[13](1808-1888), avait soutenu que le judaïsme, contrairement au mouvement réformiste, n’était pas une religion, mais une nation, constituée et régie par la loi morale de Dieu. Développant cette idée, Breuer soutient qu’un ordre politique d’éthique pure compris comme une loi, c’est-à-dire la halacha orthodoxe, surmonte à la fois l’individualisme libéral et le nationalisme chauvin.

Et puis il y a eu le Rav Kook, première figure rabbinique et penseur majeur à affirmer la révolution sioniste, telle qu’il la comprenait, dans le cadre de la tradition rabbinique et de la philosophie et de la théologie juives[14].
Dans sa jeunesse, Kook, comme beaucoup de prodiges rabbiniques, a étudié à la grande yeshiva de Volozine[15] qui était une sorte de pépinière générant des personnalités hors du commun, depuis de grands talmudistes ultraorthodoxes comme Haïm Solovetichik, jusqu’à des révolutionnaires littéraires comme Bialik, en passant par des écrivains comme Micha Josef Berdyczewski[16]. Au cours des années 1880 et 1890, Kook, tout en exerçant ses fonctions de rabbin communautaire, en plus de ses études talmudiques et halachiques, se plonge dans la philosophie et la Kabbale et ressent vivement les vents de changement qui soufflent autour de lui et en lui-même. Il est également de plus en plus fasciné par ces rebelles, qui rejettent la tradition non pas pour mener une vie plus facile, mais pour livrer une lutte de principe en faveur du peuple juif et des masses. Il en vient à voir la main de Dieu à l’œuvre à travers ces révolutionnaires sionistes, non seulement pour améliorer la condition des Juifs, mais aussi pour apporter des corrections importantes à des problèmes (tels que la stagnation religieuse, l’insularité et l’insensibilité morale) que la tradition rabbinique n’aurait pas pu résoudre à elle seule. Sa réflexion sur ce sujet s’intensifie considérablement après son déménagement, en 1904, pour devenir le rabbin de Jaffa, qui était alors le centre métropolitain de la nouvelle communauté juive de Palestine, avant de devenir, à partir de 1909, le noyau de la ville radicalement nouvelle de Tel-Aviv.
Le Rav Kook est également conscient des dangers moraux d’un nationalisme sans concession, en particulier dans ses premiers écrits. Contrairement au Mizrahi, il éprouve au mieux un sentiment ambivalent à l’égard du mouvement politique sioniste, qui lui semble dépourvu d’âme. En revanche, la renaissance juive nationale, culturelle, artistique, sociale et spirituelle déclenchée par le sionisme le passionne.
Comme beaucoup d’autres, il s’est tourné vers le sionisme parce qu’il l’aide à répondre à des questions philosophiques et théologiques fondamentales, ou si vous préférez, à des antinomies : le corps et l’âme, le peuple juif et tous les autres, le judaïsme de la Bible et celui des rabbins, la prophétie et la loi. De plus, cela lui offre une sorte de théodicée de la modernité. Dieu est omniprésent et sa providence est toujours à l’œuvre. Alors, comment expliquer l’effondrement massif de la vie juive traditionnelle, accompagné d’une créativité juive étonnante et de mouvements en faveur de la justice sociale ? C’est la manière dont Dieu fait passer les Juifs de l’exil à la rédemption, pour leur propre bien et pour le bien du monde.
Il est important de noter qu’il développe sa pensée théologique non pas dans des livres et des publications conventionnelles, mais dans des carnets personnels, à partir desquels ses disciples ultérieurs sélectionneront et éditeront ses œuvres canoniques. Dans ces carnets, il s’efforce de développer non seulement de nouvelles idées, mais aussi un nouveau langage littéraire pour explorer la théologie juive, en s’inspirant de presque toutes les couches de l’histoire textuelle juive dans un style mêlant pensée philosophique, expérience personnelle et poésie lyrique. Cette approche contribue largement au charme que ses œuvres peuvent exercer sur les lecteurs, y compris les universitaires. Le lire est une expérience intellectuelle et religieuse à part entière.
Pour Kook, l’histoire juive se déroule de manière dialectique, par étapes. La Bible hébraïque est une incarnation à part entière, pleine de politique, de désirs, d’aspirations, de drames humains, de poésie, et imprégnée de l’immédiateté de la prophétie.
DT : Bien que ces questions relèvent en partie du domaine métaphysique, en ce qui concerne sa vision politique, comment interprétez-vous le fait que Kook se soit éloigné de la position du Mizrahi, en particulier sa conviction qu’il existe un lien étroit entre l’espoir religieux et le sionisme ? Considère-t-il véritablement le retour sur la Terre promise comme le début de la rédemption d’Israël ?
YM : Oui. Pour Kook, l’histoire juive se déroule de manière dialectique, par étapes. La Bible hébraïque est une incarnation à part entière, pleine de politique, de désirs, d’aspirations, de drames humains, de poésie, et imprégnée de l’immédiateté de la prophétie. Telle est la thèse. Le judaïsme rabbinique, exilé, mobile, intériorisé, spiritualisé, légalement rationnel, et, parce que totalement éloigné des tentations morales du gouvernement et de l’art de gouverner, profondément éthique, voilà l’antithèse. Et la synthèse ? Ce sera le renouveau national juif dans la terre historique d’Israël, et ses hérauts sont précisément les rebelles et les révolutionnaires de l’Europe orientale juive.
Certains, comme Yosef Haïm Brenner, ont clairement assumé cette vision. D’autres, comme Berl Katznelson, se considéraient comme toujours liés à l’éthique et à la spiritualité juives traditionnelles et appréciaient que le Rav Kook essaie de les voir ainsi.
En ce sens, Kook n’est pas un penseur libéral, un pluraliste individualiste. C’était un penseur très fin de siècle, perspicace dans les mouvements historiques profonds qui sous-tendent l’évolution des idées. En même temps, en tant que rabbin jusqu’au bout des ongles, il pense que la synthèse tant attendue nécessite du temps et de la prudence.
DT : Il faut qu’opère une certaine ruse de l’histoire, comme dans la philosophie de Hegel. Les gens agissent, mais ils ne savent pas ce qu’ils font, c’est l’histoire qui leur révèle ensuite le sens de leurs actes…
YM : En effet. Kook pense qu’un certain degré de conscience de soi est nécessaire, que lui-même et d’autres gens comme lui peuvent atteindre. Il est influencé par les idées hassidiques selon lesquelles le tsadik (le sage) est le miroir spirituel des gens qui l’entourent.
Il voit les jeunes de cette manière parce qu’il partage en grande partie leur mécontentement spirituel. Il partage leur recherche de formes individualisées d’expression religieuse. Les idées de Charles Taylor sur l’expressivisme (selon lesquelles une grande partie de la pensée et de la culture modernes sont des tentatives pour trouver la vérité en soi-même et l’exprimer, plutôt que de la recevoir de l’extérieur) sont extrêmement intéressantes pour comprendre ce phénomène[17]. Kook constate qu’il a lui aussi du mal à trouver de nouvelles formes d’expression et de nouvelles idées, et il perçoit en lui-même des courants de personnalité différents et contradictoires. Il comprend que les autres membres de la société vivent la même chose.
Dans un passage très célèbre datant de 1910, Kook écrit : « Trois forces sont à l’œuvre au sein du peuple juif, comme elles le sont d’ailleurs au sein de tous les peuples, de toutes les pensées et de tous les êtres humains. Un sentiment d’appartenance à un groupe, un sens de l’éthique universelle et un désir de transcendance divine. Pour le peuple juif d’aujourd’hui, chacune de ces forces est devenue une propriété de notre cœur ». On a donc, pour ainsi dire, un parti nationaliste, un parti universaliste et un parti transcendant (qui est le parti orthodoxe). Idéalement, ces trois forces devraient travailler ensemble. Un point crucial de sa pensée est que cette approche théologique vise à comprendre les désaccords humains. À cet égard, Kook est profondément influencé par la Kabbale. Il se sert du monde extrêmement diversifié des Sefirot comme d’une carte pour naviguer à travers la condition juive, humaine et cosmique. L’univers est structuré par des forces qui semblent s’opposer et, en fin de compte, entrer en conflit, et qui agissent de manière dynamique à travers le temps. Une partie de l’innovation de Kook en tant que kabbaliste, pour le meilleur ou pour le pire, a été de voir les catégories kabbalistiques à l’œuvre dans les mouvements sociaux et politiques concrets de son époque. Il est ici entre autre influencé par un penseur comme Moshe Chaïm Luzzatto, pour qui la rédemption est un processus qui se déroule dans et à travers le temps historique[18].
DT : La Kabbale comme prisme pour interpréter le monde parait assez éloignée de l’esprit du sionisme moderne, issu de la Haskala. Se pourrait-il que le sionisme religieux reflète une influence des idées anti-Haskala au sein du mouvement sioniste ?
YM : Je dirais deux choses. Premièrement, en ce qui concerne l’utilisation de la Kabbale comme feuille de route pour la modernité, il faut rappeler que celle-ci est profondément liée au néoplatonisme. Il suffit pour s’en convaincre de lire l’ouvrage magistral de Leszek Kolakowski, Les courants principaux du marxisme. Avant même d’aborder Marx, l’auteur consacre près d’une centaine de pages au néoplatonisme[19]. Le Rav Kook s’inspire des philosophes idéalistes néoplatoniciens, et n’oublions pas que le néoplatonisme a également façonné en profondeur la Kabbale. En d’autres termes, Kook s’inscrit également dans une histoire plus large, celle de l’influence profonde du néoplatonisme sur les philosophies modernes de l’histoire.
Deuxièmement, en ce qui concerne la Haskala, il existait différentes formes de Haskala, tout comme il existait différentes formes de Lumières (pensez aux différences réelles entre la pensée des Lumières en Écosse, en France et en Allemagne), certaines très rationalistes, d’autres beaucoup plus romantiques, beaucoup plus liées à la nation, surtout à mesure que l’on se dirige vers l’Europe de l’Est. Il existe également une relation subtile entre la Haskala et l’humanisme rabbinique prémoderne. Tout au long de l’histoire, d’importantes figures rabbiniques ont écrit des ouvrages de philosophie, de grammaire ou de poésie. La Haskala est ce qui se produit lorsque ces préoccupations s’inscrivent dans un programme conscient visant à refondre la société juive, à la faire évoluer ou à la conduire sur la voie de l’Europe moderne. Et comme nous l’avons dit, elle se présente sous de multiples formes : rationaliste, romantique et toutes sortes de variations intermédiaires.
Or, le Rav Kook est un penseur profondément dialectique. Dans le climat extrêmement conflictuel de la Palestine en 1910, il soutient que chaque camp doit s’engager dans un véritable processus de réconciliation avec l’autre. Il insiste sur l’importance, pour chacun, de reconnaître et de valoriser les aspects positifs des positions auxquelles il s’oppose, afin de dépasser les antagonismes et d’avancer vers une compréhension mutuelle. Le nationaliste me met au défi, moi l’universaliste, de me soucier de mon peuple. Et je mets le nationaliste au défi en lui disant qu’il est incomplet en tant qu’être humain s’il ne se soucie que de son peuple. La transcendance place un grand point d’interrogation divin au-dessus de nous tous. Il est difficile d’essayer activement d’apprendre de personnes avec lesquelles on est en profond désaccord, mais c’est absolument nécessaire, dit-il. En même temps, en tant que penseur rabbinique, Kook croit en la loi, en la halacha. Sa critique du christianisme est que l’on ne peut pas remplacer la loi par l’amour, car la loi est le seul moyen d’améliorer ce monde. Le sionisme n’a de sens que dans son historiosophie religieuse. Kook pense que la tradition a un rôle à jouer pour préparer la voie à un nouveau judaïsme qui transcendera les catégories habituelles de religion, de religiosité et de laïcité. Et il considère que tous les courants participent à cette vision, y compris les ultraorthodoxes, qui l’ont farouchement combattu et attaqué. C’est en réalité quelqu’un de très noble.

DT : Pouvez-vous nous parler de la terre dans la vision de Kook ? Nous avons commencé avec Reines, qui associait et séparait la vision traditionnelle juive du monde et le sionisme politique, au point de voter pour le plan Ouganda lors du Congrès sioniste de 1903.
YM : À l’époque, le leadership politique du sionisme religieux était entre les mains du Mizrahi, avec lequel Kook a toujours eu des relations difficiles, car sa conception de ce que pouvait accomplir le renouveau national juif était très vaste et difficile à traduire en termes politiques. Mais le Mizrahi avait besoin de lui, tout comme les sionistes laïques d’ailleurs. Kook était une figure rabbinique d’une envergure exceptionnelle — il est important de rappeler que même la plupart de ses adversaires reconnaissaient en lui un érudit hors pair et, dans sa pratique religieuse, une véritable figure de sainteté. S’il soutenait résolument le projet sioniste et disposait d’une théologie élaborée pour en accompagner la réalisation, il œuvrait toutefois sur un plan très différent de celui du mouvement Mizrahi. Les successeurs de Reines, tels que le rabbin Maimon (qui figurait parmi les signataires de la Déclaration d’indépendance d’Israël), étaient des politiciens habiles et des bâtisseurs d’institutions, tandis que Kook, en plus d’être juriste et leader communautaire, était avant tout un visionnaire et un penseur.
La Première Guerre mondiale est un moment crucial à cet égard. Kook est présent dès le début du conflit en Europe où, depuis ses refuges successifs en Suisse et en Angleterre, il assiste au suicide de la civilisation occidentale. C’est à cette époque que ses critiques du christianisme sont les plus virulentes, car il attribue la responsabilité ultime de la guerre à l’abandon de la loi par les chrétiens. Il en vient à considérer la Grande Guerre comme la guerre apocalyptique, le choc entre Gog et Magog qui précède la rédemption[20].
En 1904, à la suite de la disparition soudaine et inattendue de Theodor Herzl, le Rav Kook discerne l’accomplissement d’une idée issue des textes du Second Temple et de la littérature rabbinique : celle d’un premier Messie politique, le Fils de Joseph, destiné à préparer la voie et à disparaître avant l’avènement du Messie universel et spirituel, le Fils de David. Nombreux sont ceux qui interprétèrent la Déclaration Balfour de 1917 comme un signe messianique, mais, fort de ses décennies de réflexion sur ces questions, le Rav Kook fut frappé par cet événement avec une intensité toute particulière.
Il est intéressant de noter que, dans ses premiers écrits, avant son émigration en Palestine en 1904, la terre d’Israël n’apparaît pas beaucoup. Elle y est bien sûr mentionnée, mais pas en tant que catégorie théologique indépendante ni en tant que prisme à travers lequel évaluer des idées plus larges. En revanche, le peuple juif constitue toujours pour lui une catégorie théologique, car il est la base terrestre et matérielle du divin. Dans la Kabbale, la communauté sacrée d’Israël est considérée comme ontologiquement indissociable de la Torah orale, de la Terre d’Israël et de la Chekhina[21], qui sont toutes des manifestations de la présence de Dieu dans le temps et l’espace. C’est ainsi que, pour le Rav Kook, les actions idéalistes du peuple juif sur sa terre font partie d’un renouveau national, de ses propres étapes ontologiques dans le monde. Et c’est ainsi que l’on comprend sa déclaration : « La terre d’Israël n’est pas un simple bien immobilier appartenant à la nation ». Elle est une dimension propre de la présence de Dieu, destinée à être colonisée par la communauté de Dieu, pour le bien de toute l’humanité.
DT : Il s’agit ici d’une fusion complète entre la théodicée et le sionisme.
YM : Et pourtant, la place de l’État dans sa vision n’est pas claire. Certaines personnes, peut-être religieuses, pensent que l’État juif est vraiment bon, important, précieux, utile, voire crucial et nécessaire. Pour le Rav Kook, la terre elle-même est sacrée. Elle n’est pas importante parce qu’elle favorisera la productivité agricole juive et fera avancer l’entreprise nationale juive. Mon corps, derrière la charrue sur la terre d’Israël, fait partie du renouveau national, qui inclut l’hébreu, la spiritualité, et constitue en soi une manifestation de la présence de Dieu. Il s’agit d’une tentative de surmonter l’aliénation de Dieu du monde, comme si soudainement la transcendance et l’immanence se rejoignaient. Le sionisme, pour ainsi dire, vide une coupe remplie de tradition, d’un peuple, d’une terre. Le mouvement sioniste utilise cette coupe vide pour construire un État. La terre est désormais sa plate-forme, et le peuple une nation dont on peut faire un État. La langue hébraïque est une langue nationale au même titre que chaque nation a la sienne. Ce que fait le sionisme religieux, en particulier dans les années qui ont suivi 1973, c’est réintroduire les anciennes significations religieuses, comme pour remplir la coupe.
Certes, les successeurs immédiats du Rav Kook au poste de grand rabbin, le Rav Herzog et le Rav Uziel, avaient des idées sur la rédemption, mais fondamentalement, aussi idéalistes et spirituels fussent-ils, ils étaient des bâtisseurs d’institutions pragmatiques. Ils n’ont pas les visions historico-philosophiques radicales de Kook. Après le désastre de la guerre de 1973, le parti travailliste a perdu sa crédibilité et tous les groupes qui se sentaient secondaires ou marginalisés par le Mapaï (le parti travailliste), comme les Juifs séfarades ou les sionistes révisionnistes, ont commencé à s’affirmer comme jamais auparavant. Tous ces jeunes sionistes religieux, étudiants de deuxième et troisième générations du rabbin Kook, ont repris le contenu religieux et l’ont réinjecté dans le processus de construction de l’État, afin que la terre d’Israël soit à la fois une chose spirituelle et une chose très concrète. À leurs yeux, ils étaient les véritables héritiers des pionniers sionistes révolutionnaires.
DT : Reprenons votre image de la coupe. Remplir la coupe vidée par le sionisme, c’est mettre fin au sens traditionnel du peuple juif, car judaïsme et exil sont indissociables. C’est quitter le domaine de l’exil. La politique juive, prémoderne et moderne à la fois, a deux visages. L’un est la politique en exil, l’autre la politique pour échapper à l’exil. La seconde facette, à part quelques brèves explosions, a été inhibée. Jusqu’à présent, je comprenais le sionisme politique comme un développement de la vie politique juive en exil et non comme son abolition. Après vous avoir écouté, dois-je comprendre que le sionisme politique est la politique de la fin de l’histoire, ce que nous appelons le messianisme ?
YM : Comme je l’ai dit, le Rav Kook n’est pas clair sur sa vision de l’État et de ses institutions. De plus, sa pensée se distingue par son ampleur et sa profondeur remarquables, ce qui rend très difficile la traduction de sa théologie en politique (même si beaucoup de ses disciples pensent pouvoir le faire).
Je comprends bien votre point de vue et il est vrai que cette conception a de quoi séduire : le sionisme consisterait alors à prolonger la pensée de l’exil, y compris sa profonde méfiance à l’égard du pouvoir. Certes, le Rav Kook, à la différence d’autres penseurs sionistes, ne cherchait pas à renoncer à l’héritage de la diaspora juive, mais à l’intégrer et à le transformer en une synthèse nouvelle.
Vous soulevez deux questions distinctes : l’une, descriptive – que se passe-t-il ici ? –, l’autre, normative – comment devons-nous appréhender cette situation et y répondre ? D’un point de vue descriptif, il est difficile d’imaginer une politique juive centrée sur la terre historique d’Israël et la création d’une communauté juive qui ne ferait pas inévitablement ressortir tous ces éléments, comme l’écrivait Scholem dans sa célèbre lettre à Rosenzweig[22]. Inévitablement, ces questions vont se poser ou, pour le dire autrement, la théologie politique va devenir un enjeu majeur. Se pose ensuite une question normative : que faire une fois que ce mouvement de retour sur la terre historique d’Israël est lancé, d’autant plus qu’il s’appuie sur toutes ces idées traditionnelles du retour à Sion ?
DT : Dans cette lettre, Scholem exprime son inquiétude quant aux effets potentiellement explosifs et violents de la sécularisation de la langue hébraïque, et donc son inquiétude quant au sionisme, qu’il compare à de la dynamite susceptible de vous exploser au visage à tout moment…
YM : Ce qui se passe après 1967, en 1973, c’est que la traduction des idées de Kook par son fils, Rav Zvi Yehudah Kook[23], conduit à une prise de position politique très nette : l’avènement messianique serait en cours, incarné par et à travers l’État d’Israël, et il existerait désormais une certitude sur la manière de hâter ce processus. (Rappelons que le Rav Kook est mort en 1935, nous ne savons donc pas ce qu’il aurait dit à propos de la Shoah ou de la création et du développement de l’État d’Israël).

Personnellement, je suis un disciple du regretté Rav Yehuda Amital[24]. Le Rav Kook a laissé un corpus vaste et foisonnant d’idées multiples. Quelle est la clé qui permet de l’interpréter ? Pour mon professeur, mon maître, le Rav Amital, c’est ce que Kook a dit sur la centralité écrasante de l’éthique, y compris l’éthique universelle que le peuple juif partage avec tous les hommes de bonne volonté à travers le monde.
Je vois Smotrich comme une sorte de léniniste avec une kippa : il pense que lui seul comprend correctement l’histoire et que tous les autres se trompent. Cela s’explique par le fait que ses professeurs ont traduit la pensée dynamique et en constante évolution du Rav Kook en un ensemble de dogmes.
DT : Cela signifie-t-il que l’œuvre du Rav Kook est ambiguë ?
YM : Oui. Pas ambiguë au sens où il aurait délibérément cherché à formuler ses idées de manière ambiguë. Ses écrits sont lyriques, grandioses, pénétrants, d’une profondeur émotionnelle remarquable et d’un lyrisme sublime. Mais ce n’est pas un penseur politique. Il s’intéresse à la société, à la culture, à l’identité nationale. Il parle très peu de diplomatie, de gouvernance ou d’institutions politiques, mais le Rav Kook aborde parfois la démocratie dans ses premiers écrits. Pendant la Première Guerre mondiale, il rédige ce passage célèbre où il affirme que, dans une époque où il n’y a pas de roi, c’est le peuple qui assume l’autorité royale — autrement dit, ce que l’on nomme la souveraineté populaire. Pour Kook, le messianisme est un vaste processus et la restauration du Temple est inconcevable sans la restauration du Sanhédrin (tribunal), car il s’agit d’un tout : le retour de Dieu sur terre s’accompagnera également d’une revitalisation du processus juridique. Selon le Rav Kook, il ne saurait y avoir de Temple sans Sanhédrin, sans loi. C’est ce que Ben Gvir et ses partisans ne comprennent pas. Kook est conscient du potentiel violent du nationalisme. Mais le nationalisme juif est guidé par la Torah et la providence divine, lesquelles ne nécessitent pas un retour à Sion par la violence. J’admets que Kook est un peu naïf sur le plan politique. Le succès du sionisme religieux au cours des dernières décennies a plusieurs raisons, notamment l’incapacité du sionisme laïc à maintenir son dynamisme culturel et spirituel. Le sionisme tire une grande partie de sa force de la relation dialectique très forte qu’il entretient avec la tradition juive. Lorsque Ben Gourion se considérait comme l’héritier des prophètes hébreux, il ne plaisantait pas.
DT : Je comprends que lorsque Ben Gourion parlait de prophétie, il faisait référence à des concepts tels que la justice sociale et la paix, qui sont accessibles et compréhensibles par tous. Cependant, si l’on interprète les intentions divines à travers la Kabbale, peut-on encore considérer une telle démarche comme rationnelle, fût-ce au sens large ?
YM : Je ne pense pas que la Kabbale puisse être qualifiée d’« irrationnelle » dans toutes ses expressions, même si elle demeure indéniablement traversée par des éléments mystiques. Par ailleurs, une grande part de la tradition kabbalistique entretient un dialogue profond avec la philosophie, médiévale bien entendu, mais aussi moderne[25]. Que cela soit rationnel ou non, c’est clairement illégitime dans une société démocratique. Si l’on considère le point de vue du Rav Kook comme une lecture ésotérique de l’histoire, la question est de savoir quelle légitimité il revêt dans la sphère publique. C’est l’un des points sur lesquels il existe un fossé infranchissable entre quelqu’un comme l’actuel ministre des Finances israélien, Bezalel Smotrich, et moi-même.

Je vois Smotrich comme une sorte de léniniste avec une kippa : il pense que lui seul comprend correctement l’histoire et que tous les autres se trompent. Il se considère comme un avant-gardiste, convaincu qu’il doit prendre les rênes du gouvernement et le diriger selon la voie qu’il a tracée, une voie que vous êtes incapables de comprendre. Cela s’explique par le fait que ses professeurs ont traduit la pensée dynamique et en constante évolution du Rav Kook en un ensemble de dogmes.
À l’inverse, le Rav Kook est un pluraliste (mais pas un libéral). C’est aussi un grand optimiste. Il croit que les gens sont motivés par des idéaux. Il ne parle presque jamais à ceux qui sont motivés par l’appât du gain ou le pouvoir, car il ne leur accorde aucune importance théologique. De même, Kook ne considère pas le matérialisme comme une force dotée de portée spirituelle dans le monde. Il ne traite pas du marxisme ; en revanche, il s’intéresse au socialisme et à l’anarchisme, qu’il perçoit comme porteurs d’une véritable signification spirituelle.
DT : Dans la vision de Kook, le peuple et la terre sont indissociables. La rédemption passe par le rassemblement du peuple juif sur la Terre promise.
YM : Et ce rassemblement est également ce qui rend possible l’émergence de nouvelles formes d’art, de littérature, de poésie et de pratique religieuse.
DT : Vous soulevez un point intéressant concernant la question de la légitimité de la terre. Si la légitimité découle du fait d’y vivre en tant que majorité et d’y travailler, cela semble correspondre à une perspective nationale moderne. Mais si la terre est considérée comme sacrée, cela risque de soulever des questions autrement plus complexes. Vous semblez personnellement avoir une interprétation libérale et universaliste des idées du rabbin Kook, prônant le pragmatisme et la non-violence. Mais pensez-vous que la position sioniste religieuse, de par sa nature, conduit logiquement au conflit ?
YM : Je pense que l’entreprise sioniste dans son ensemble comporte des dimensions politico-théologiques latentes, comme c’est le cas de nombreux mouvements politiques, et que le sionisme religieux les fait remonter à la surface. La manière de répondre à ces dilemmes théologiques et politiques relève d’un choix moral qui incombe à chacun. Il existe, en effet, une multitude de réponses possibles.
Sur certains points, les réponses de Kook sont d’une grande clarté : il était ainsi très strict sur le fait que les Juifs ne devaient pas se rendre au Mont du Temple. Il était très catégorique à ce sujet, surtout après les émeutes de 1929. Comme beaucoup de sionistes, il avait été choqué par la violence arabe. Le rêve de coexistence s’effondrait. Bien sûr, les idées de Kook peuvent comporter des dangers. C’est une préoccupation qui m’accompagne depuis des décennies. Ses idées sont convaincantes et bien formulées, et on ne voit jamais chez lui une glorification de la violence pour la violence. Telle est la question fondamentale : que faire lorsque nos structures profondes de légitimation et nos revendications morales fondamentales ont une structure transcendante extrêmement dangereuse pour le maintien d’un régime politique libéral ? Je pense parfois qu’il existe une analogie entre les idées du Rav Kook et celles de Dietrich Bonhoeffer[26]. Bonhoeffer, qui se retrouva à travailler aux côtés d’activistes non religieux dans la résistance anti-hitlérienne, développa l’idée des « chrétiens inconscients », que Rahner approfondit davantage sous le terme de « christianisme anonyme ». Leur concept n’est pas que les anti-hitlériens non-religieux aient en quelque sorte accepté Jésus dans leur cœur, mais que l’œuvre de leur vie est une manifestation du Christ dans l’histoire, et que la structure de leurs actions, leur position morale, n’est compréhensible, dans un certain sens, que sur la base d’une critique prophétique du pouvoir.
Telle est la question fondamentale : que faire lorsque nos structures profondes de légitimation et nos revendications morales fondamentales ont une structure transcendante extrêmement dangereuse pour le maintien d’un régime politique libéral ?
DT : Néanmoins, la motivation inconsciente de la résistance au mal n’est pas la même chose que la promotion d’un projet avec des motivations supposées inconscientes dans le contexte d’un État démocratique, et de la possibilité de conquérir un territoire par la force.
MK : Oui. En même temps, les idées religieuses peuvent avoir un énorme potentiel émancipateur dans les sociétés démocratiques, comme c’est le cas avec Martin Luther King. Les sociétés libérales, même la politique libérale, ont besoin, pour leur fondement moral, d’un lien avec la transcendance. L’épistémologie sceptique de la science moderne est animée par un impératif moral : tenter de limiter l’ampleur des désaccords humains, afin que, tout au moins, les gens ne s’entretuent pas. Pourtant, le besoin humain d’un horizon ultime, d’une autorité morale, ne disparaît pas pour autant.
Ces questions politico-théologiques sont particulièrement intenses, aiguës et douloureuses dans l’Israël d’aujourd’hui. Elles font écho à celles qui se posent ailleurs en matière de théologie politique. Les gens qualifient régulièrement les sionistes religieux de fondamentalistes, mais ce paradigme ne fonctionne pas vraiment ici. Les sionistes religieux sont très modernistes. Ils ont une théorie de l’histoire et de la révolution, du progrès et du changement. Et ils considèrent l’expressivité de l’art et de la culture comme un élément du renouveau national et comme l’expression de la spiritualité. Et bien sûr, cela est lié à la question plus large qui agite le monde : celle de la religion publique. On a d’abord connu la théorie de la modernisation, puis la révolution islamique de 1979, et ce phénomène que l’on nomme fondamentalisme. On les réduit souvent à de simples tentatives de retour en arrière. Pourtant, la réalité est plus nuancée : comme l’a montré Isaiah Berlin, les figures des contre-Lumières au XVIIIᵉ siècle n’étaient pas de simples réactionnaires, mais portaient aussi des conceptions affirmatives et originales. Il en va de même aujourd’hui.
Je suis tout à fait d’accord avec vous sur la nécessité de maintenir un sens politique de la diaspora. Mais avec la radicalisation de la politique religieuse et scientifique au cours des dernières décennies, les phénomènes actuels ne se produisent pas dans le vide et sont liés à des crises plus larges de légitimité, de solidarité, d’engagement moral et des valeurs qui les sous-tendent.
DT : L’histoire juive est riche en explosions messianiques. Et celles-ci surviennent après de profondes crises. Ce fut le cas au Moyen Âge, puis plus tard avec Shabtai Zvi et Yacob Frank. Cela pourrait-il également être le cas avec le Rav Kook, autour de la Première Guerre mondiale, avec les pogroms contre les Juifs en Europe de l’Est ?
YM : Oui. Et surtout avec l’effondrement de la vie juive traditionnelle dans la modernité.
DT : Et cela semble également être le cas pour le fils de Kook, Zvi Yehuda, avec la Shoah. Le messianisme est né des profondes difficultés à comprendre l’histoire juive, apparues avec la Shoah, dans une période de crise profonde. Si vous lisez ce que les Haredim écrivent ou pensent de la Shoah, vous voyez qu’ils ont énormément de mal à la cerner. Leurs catégories ne suffisent pas. Ne pensez-vous pas que le messianisme sioniste religieux est une réaction à la Shoah ?
YM : Pour Zvi Yehuda Kook, la Shoah constitue le moyen par lequel Dieu met fin à l’exil et ramène le peuple juif en Eretz Israël. Il est explicite sur ce point : la terre revêt une importance centrale, et l’État d’Israël, en restaurant la souveraineté juive sur cette terre, devient, surtout après la Shoah, l’instrument rédempteur de Dieu dans le monde. Mon professeur, le Rav Amital, a commencé à étudier le Rav Kook lorsqu’il était en Hongrie, avant d’être emprisonné dans un camp de travail nazi pendant la Shoah. Tout au long de sa vie, il a été un interprète engagé et profond de celui-ci. Et pourtant, il plaçait une humilité épistémique motivée par la morale au centre de sa pensée. Oui, les Juifs croient en la rédemption, mais la question est : comment pouvons-nous en savoir quelque chose ?
Le Rav Amital disait que nous sommes entre les mains d’un processus rédempteur plus grand et qu’essayer de discerner le sens des événements actuels est la meilleure chose à faire. Je ne peux pas prétendre connaître les détails des desseins de Dieu pour l’histoire. En attendant, je dois être pragmatique et prendre des décisions morales. Je partage cet avis. Je ne prétends pas comprendre le Rav Kook mieux que son fils Zvi Yehudah, mais je sais que je fais des choix ici et maintenant, et que je dois assumer la responsabilité de ces choix, y compris la manière dont j’interprète ce grand homme. Surtout après l’Intifada de 2000. Les gens continuent de penser à la rédemption, mais celle-ci semble s’éloigner de plus en plus. Une lutte acharnée nous attend. Une autre évolution intéressante du sionisme religieux au cours des dernières décennies est la réflexion du Rav Kook sur la subjectivité, l’expression personnelle, la créativité, les arts, la spiritualité et la profondeur de l’âme.

DT : Cela fait-il partie de l’américanisation de la vie israélienne ?
YM : Pas vraiment, car cela ne découle pas de l’individualisme libéral. Il s’agit plutôt de trouver son expression individuelle au sein du collectif.
DT : Existe-t-il un parti politique qui incarne la vision du sionisme selon les écrits du Rav Kook ?
YM : Je dirais qu’il n’y a pas de parti, mais il y a des personnalités. Il y a des personnalités dans l’entourage de Beni Gantz, Hili Troper ou Tehila Friedman. Elles correspondent tout à fait à la vision humaniste de Kook. Et la politique doit être pragmatique. D’ailleurs, il n’est pas rare d’entendre, chez les sionistes religieux les plus à droite, cette remarque : « Vous me considérez comme messianiste ? Mais qu’en était-il de Shimon Peres ? »
L’une des critiques du processus d’Oslo est qu’il s’inscrit dans l’euphorie post-guerre froide de la fin de l’histoire. Et le processus auquel a donné lieu cette idée a également été destructeur. Je pensais autrefois que c’était une critique folle, mais je pense maintenant qu’il y a du vrai là-dedans. Car nous voyons aujourd’hui partout en Occident à quel point l’euphorie de l’après-guerre froide, à laquelle j’ai participé dans ma vie professionnelle lorsque j’étais au département d’État, a perduré et à quel point nous avons mal interprété tant d’aspects de la politique mondiale.
Je pense qu’il faut faire la distinction entre utopisme et messianisme. L’utopisme est inhérent aux trois religions abrahamiques. Parce qu’il y a ce sentiment que la vérité du message religieux exigera, à un moment donné, que le bien se réalise ici sur Terre. La question est de savoir si cela se traduit nécessairement par le messianisme, c’est-à-dire l’idée que, depuis le moment historique dans lequel je vis, je peux discerner comment cette réalisation doit se produire et ce que je suis censé faire pour la hâter.
Nous pouvons illustrer la différence entre utopisme et messianisme en examinant le secteur haredi (ultraorthodoxe) de l’Israël contemporain. La position des haredim consiste à envisager une société où chacun pourrait se consacrer à l’étude du Talmud, une situation sans précédent dans l’histoire juive. C’est tout à fait utopique. Et pourtant, cela trouve précisément son origine dans le rejet de la théologie messianique d’une grande partie du sionisme religieux.
Bien sûr, il existe dans la pensée juive des sources d’inspiration pour un messianisme non utopique, notamment la doctrine messianique naturaliste de Maïmonide. Selon lui, l’avènement messianique se traduira par un ordre social et politique juste permettant aux individus de philosopher et de mener une vie épanouissante alliant action et contemplation.
DT : Une dernière question. Dans la vision de Kook, quelle était la place des Arabes ou des Palestiniens ?
YM : Comme la plupart des premiers sionistes, Kook ne leur accordait pas beaucoup d’attention. La plupart des premiers sionistes ne considéraient pas les Palestiniens comme une nation distincte, et ce n’est que peu avant la Première Guerre mondiale que l’on commence à voir apparaître les prémices d’un nationalisme distinct, premier élément d’une identité nationale palestinienne. Même dans ce cas, ce phénomène s’inscrit dans le contexte de l’effondrement de l’Empire ottoman à la suite de la révolution des Jeunes-Turcs, une période où chacun cherche à redéfinir son identité et sa place dans un monde en pleine recomposition. Et après que les Britanniques aient reçu le mandat de la Société des Nations, personne ne pensait qu’ils quitteront la Palestine de sitôt.
Dans les écrits de Kook, on ne trouve jamais de position politique claire à ce sujet, même s’il s’efforce toujours de préciser que les habitants non juifs et arabes de la terre ne sont pas des ennemis et ne doivent pas être considérés comme tels. Je ne sais pas s’il n’a jamais réfléchi à ce que serait leur statut de citoyen dans un État juif, car il ne s’est pas demandé à quoi ressemblerait un État juif. Je pense que dans son esprit, il s’agirait probablement d’une forme d’expression nationale sur la terre d’Israël, laquelle serait majoritairement juive.
Pour lui, la population palestinienne ne formait pas une entité unique. Il y avait les chrétiens, les musulmans, les Druzes. Étant lui-même religieux, il était en contact avec différents groupes, différents types de personnes. Il ne les considérait pas comme des ennemis. Le mufti[27] publiait régulièrement des lettres ouvertes, essayant de l’entraîner dans un combat rhétorique, mais Kook a toujours refusé de se laisser prendre au jeu.
Encore une fois, pour moi, Kook est une figure écrasante. C’est l’un des penseurs juifs les plus remarquables. Que faire de lui en tant que guide politique pour le présent ? Je me réfère à nouveau à mon maître, le Rav Amital, qui disait : « Rabbi Akivah s’est trompé au sujet de Bar Kochba[28], mais cela ne diminue en rien la grandeur de Rabi Akiva ni ce que nous avons à apprendre de lui aujourd’hui encore. Cela signifie simplement qu’il faut se rappeler que même Rabi Akiva n’avait pas toujours raison et qu’il lui arrivait parfois de se tromper ».
Propos recueillis par Danny Trom
Notes
1 | Martin Buber (1878–1965) : philosophe, théologien et penseur juif né à Vienne, il a prôné un État binational judéo-arabe en Palestine, en opposition au sionisme politique majoritaire. |
2 | Meir Kahana (1932–1990) : rabbin et homme politique israélo-américain, fondateur de la Ligue de défense juive (JDL) aux États-Unis et du parti israélien d’extrême droite Kach. Promoteur d’un nationalisme juif radical, il prônait l’expulsion des Arabes d’Israël et des territoires occupés, ainsi qu’un État juif fondé sur la loi religieuse. Son parti fut interdit en Israël pour racisme, mais ses idées continuent d’influencer certains courants extrémistes. |
3 | Asher Hirsch Ginsberg(1856-1927) connu sous son nom de plume Ahad Ha’am est un penseur sioniste qui fut le leader des Amants de Sion. Porte-voix d’un sionisme culturel, il est aussi l’un des pères de la littérature hébraïque moderne. |
4 | Bundisme : courant socialiste juif laïque né en 1897 avec la fondation du Bund (Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, Pologne et Russie). Il prônait l’autonomie culturelle juive en diaspora, la défense du yiddish, et l’organisation des masses juives ouvrières au sein des sociétés où elles vivaient. |
5 | Il s’agit d’élèves du grand talmudiste lituanien nommé le Gaon de Vilna (1720-1797), figure des mitnagdim (courant opposé au hassidisme), qui en 1808 partirent s’établir en Terre d’Israël, fonder une communauté orthodoxe ashkénaze à Safed. |
6 | Mizrachi (ou Mizrahi) : acronyme hébreu de Merkaz Ruhani (« centre spirituel »), désigne un mouvement sioniste religieux fondé en 1902 par le rabbin Isaac Jacob Reines. Il vise à concilier judaïsme orthodoxe et projet sioniste. |
7 | Hibat Zion (hébreu : חיבת ציון, aussi appelé Hovevei Tsion ou « Amants de Sion ») est un mouvement juif fondé en 1881 en Russie par Léon Pinsker, à la suite des pogroms, qui prône le renouveau du peuple juif par le retour en Terre d’Israël et la reconstruction de sa patrie. |
8 | La halakha désigne l’ensemble des lois religieuses du judaïsme, issues de la Torah, du Talmud et de la tradition rabbinique. |
9 | Né dans l’Empire russe, naturalisé britannique, Haïm Weizmann (1874-1952) fut l’un des principaux diplomates du mouvement sioniste. Premier président de l’État d’Israël de 1949 à sa mort. |
10 | Yitzhak Yaacov Reines (1839-1915) : rabbin orthodoxe lituanien, fondateur du mouvement Mizrachi, qui prônait un sionisme religieux modéré. Il considérait le retour des Juifs en Terre d’Israël comme compatible avec la tradition religieuse, mais rejetait le messianisme actif. Opposé aux positions antisionistes du rabbinat ultra-orthodoxe, il chercha à concilier foi et engagement national. |
11 | Il convient de ne pas confondre le nom du parti politique « Mizrahi » avec le même terme qui signifie « oriental » dans l’Israël contemporain et désigne l’ensemble des Juifs originaires d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient ou de la région turco-balkanique. |
12 | Isaac Breuer (1883-1946) était un rabbin du mouvement néo-orthodoxe allemand. Il concevait l’avènement d’un État messianique fondé sur la Torah en terre d’Israël et rejetait l’idée d’une « réunification de la terre et de la nation » accomplie par les forces sionistes laïques sous la forme d’un État séculier. |
13 | Samson Raphael Hirsch, rabbin allemand qui s’est opposé à la réforme libérale du judaïsme et a fondé la communauté orthodoxe de Francfort-sur-le-Main, a jeté les bases intellectuelles du judaïsme orthodoxe moderne, également connu sous le nom de « néo-orthodoxie ». |
14 | Le Rav Avraham Yitzhak Hacohern Kook (1865-1935) a été le premier grand rabbin ashkénaze de la Palestine mandataire, un penseur et un mystique juif de premier plan et la figure emblématique du sionisme religieux jusqu’à aujourd’hui. |
15 | La yeshiva lituanienne de Volozine (aujourd’hui en Biélorussie), dont l’enseignement était inspiré par le Gaon de Vilna, était un centre de la vie intellectuelle sous l’Empire russe. Son influence perdure encore aujourd’hui. Parmi ses étudiants figurent Samuel Mohilever, Micha Berdyczewski, Haim Nahman Bialik, Yitzhak Yaacov Reines et Haim Soloveitchik. |
16 | Haim Soloveitchik (1853-1918), rabbin de Brest-Litovsk (Brisk), fut le pionnier d’une méthode conceptuelle novatrice et marquante dans l’étude du Talmud. Son petit-fils, Joseph B. Soloveitchik (1903-1993), talmudiste et philosophe, s’imposa comme la figure majeure du judaïsme orthodoxe américain et l’un de ses penseurs les plus influents au XXe siècle. Haïm Nahman Bialik (1873-1934) était un poète juif qui écrivait principalement en hébreu et en yiddish. Bialik est considéré comme un pionnier de la poésie hébraïque moderne et reconnu aujourd’hui comme le poète national d’Israël. Micha Josef Berdyczewski (1865-1921) était un écrivain juif podolien de langue hébraïque, un journaliste et un érudit. Il a appelé les Juifs à changer leur façon de penser, en se libérant des dogmes qui régissent la religion, la tradition et l’histoire juives, mais il est également connu pour son travail sur les mythes et légendes juifs prémodernes. Il était littéralement le condisciple de Kook et, dans les années qui ont suivi leur départ de la yeshiva, les deux hommes se lisaient et se répondaient mutuellement, parfois de manière explicite |
17 | Charles Taylor, Sources of the Self. The Making of the Modern Identity (Harvard University Press,1989). Un ouvrage récent qui exploite brillamment l’idée de Taylor pour éclairer le sionisme religieux, de ses origines à nos jours, est celui de Shlomo Fische, Expressivist Religious Zionism : Modernity and the Sacred in a Nationalist Movement (Routledge, 2025). |
18 | Moshe Haïm Luzzatto (1707-1746), kabbaliste et philosophe très influent, éduqué à la fois dans la tradition rabbinique et dans l’humanisme italien. |
19 | Leszek Kołakowski (1927-2009), philosophe, historien des idées et essayiste polonais émigré. |
20 | Gog et Magog sont des personnages bibliques tirés d’Ezéchiel 38, dont l’affrontement est perçu dans les textes juifs, chrétiens et musulmans comme l’avant-dernier drame de la rédemption. |
21 | Chekhina (ou Shekhina) : terme de la tradition juive désignant la présence immanente de Dieu dans le monde. |
22 | Laquelle peut être consultée à l’adresse : https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1985_num_60_1_2366 |
23 | Zvi Yehuda Kook (1891-1982), fils du défunt Rav Kook, directeur de la yeshiva de Jérusalem fondée par son père et principal éditeur des nombreux ouvrages posthumes de celui-ci, a été le chef spirituel fondateur du mouvement moderne de colonisation religieuse en Cisjordanie et à Gaza. |
24 | Né en 1924 en Transylvanie (aujourd’hui en Roumanie) Yehouda Amital (1924-2010), après avoir survécu à la Shoah, s’est imposé comme l’un des grands éducateurs et penseurs du sionisme religieux. En 1968, il a fondé et dirigé pendant de longues années la Yeshivat Har Etzion à Gush Etzion, institution phare du mouvement sioniste religieux. À partir de la fin des années 1970, il est devenu la figure spirituelle de référence pour les sionistes religieux de gauche. |
25 | À ce sujet, voir Jonathan Garb, A History of Kabbalah from the Early Modern Period to the Present Day (Cambridge University Press, 2020) et, plus récemment, le nouvel ouvrage d’Eli Rubin, Kabbalah the Rupture of Modernity (Stanford University Press, 2025). |
26 | Dietrich Bonhoffer (1906-1945), pasteur et théologien luthérien allemand, actif dans la résistance contre Hitler et exécuté dans les derniers jours du régime nazi. Karl Rahner (1904-1984), prêtre jésuite allemand et théologien catholique majeur. |
27 | Hadj Amin al-Husseini (1895-1974), grand mufti de Jérusalem de 1921 à 1948, fut la figure emblématique du nationalisme palestinien, jouant un rôle central dans l’opposition à l’immigration juive et à la présence britannique en Palestine. Il s’illustra par son engagement farouche contre le sionisme et, durant la Seconde Guerre mondiale, se rallia ouvertement à l’Allemagne nazie. |
28 | Rabbi Akiva était le principal sage rabbinique du milieu du IIe siècle. Simon bar Kokhba était un chef militaire juif en Judée et le leader d’une révolte contre l’Empire romain en 132 de notre ère. Selon les récits rabbiniques, lorsque Bar Kokhba réussit à vaincre les troupes romaines, Rabbi Akiva pensa qu’il était le Messie (le sauveur), mais après sa défaite et son assassinat, se rendit compte de son erreur. |