#64 / Edito

 

Pour appuyer leur « dynamique militante » en vue des élections législatives françaises à venir, quelques ténors de la France Insoumise ont cru judicieux d’inviter la semaine dernière Jeremy Corbyn – malgré son passé de complaisance vis-à-vis de l’antisémitisme lorsqu’il était le patron du Labour. L’homme qui avait provoqué la défaite de gauche au Royaume-Uni, provisoirement exclu de son parti pour avoir contesté les conclusions du rapport de l’EHRC portant sur l’antisémitisme au sein du Labour (voir l’article paru en octobre dernier dans K. sur ce rapport) était accueilli comme un soutien de poids puis également, devant l’indignation légitime de tous ceux qui n’ont pas la mémoire courte, comme la « victime d’une grossière manipulation ». On l’accuse de légèreté vis-à-vis de l’antisémitisme ? Un stratagème honteux pour attaquer la gauche, rétorque-t-on. Milo Lévy-Bruhl fait le point sur ce dossier franco-britannique : il en rappelle les pièces, mais surtout il propose une réflexion indispensable, au nom de la gauche, sur la nécessité de ne plus jouer, a minima, la politique de l’autruche quant à la réalité d’un regain général de l’antisémitisme dont la gauche elle-même n’est pas épargnée.

Dans ce contexte, nous republions le reportage de Yoram Melloul sur les militantes féministes juives de Marseille qui s’emparent des murs de la ville pour coller leurs slogans sur l’antisémitisme et la situation des femmes juives : « Juive et fière » proclame l’un d’eux. Religieuses et féministes, de gauche mais ne se privant pas de mettre en lumière le silence qui y règne fréquemment sur l’antisémitisme, le journaliste raconte les tensions auxquelles se confrontent ces militantes. Comme l’écrit Yoram Melloul, « Elles reçoivent des invectives de la part de juifs orthodoxes, ou encore des insultes très violentes venant de l’extrême droite (…) [Mais] les militantes que j’ai rencontrées témoignent [aussi] de mauvaises expériences à gauche. Lisa, par exemple, fréquente beaucoup de mouvements féministes intersectionnels. ‘Chez mes amis activistes, on ne parle jamais d’antisémitisme. Puis, au moment de la dernière guerre avec Gaza, j’ai vu apparaître beaucoup de messages antisémites. Souvent, quand j’entends parler du grand capital dans les milieux très à gauche, c’est la figure du juif qui apparait.’ »

Enfin, K. publie cette semaine une nouvelle de Michael Freund. Un conte de Pessah, où il est question de réfugiés juifs ukrainiens et de l’hôte bougon qui les héberge : « Nous allons accueillir, Liliane et moi, des réfugiés ukrainiens. Juifs. J’avais laissé mes coordonnées à une association juive qui cherche des lieux d’hébergement pour des familles ayant fui la guerre. Ce matin j’ai reçu l’appel d’une certaine Esther qui voulait des précisions sur le logement que nous proposions. J’en ai donné une description sommaire : un studio indépendant, attenant à notre appartement, d’une trentaine de m2, tout équipé. La première question d’Esther a été de savoir si c’était casher. J’ai répondu que non, ce n’était pas casher. « Mais c’est casherisable ? » a-t-elle insisté. La question était de pure forme : tout est casherisable, bien sûr, mais Esther voulait savoir si nous étions prêts à accueillir des Juifs pratiquants. J’ai sèchement dit que non, que le studio n’était pas casherisable, qu’il ne pouvait pas l’être et que, de toutes façons, je ne voulais pas de Juifs orthodoxes »…

Il y a tout juste un an — le 29 octobre 2020 — Jeremy Corbyn était exclu du Labour qu’il avait dirigé de 2015 à 2020. Cette exclusion faisait suite aux réserves qu’il avait exprimées sur les conclusions du rapport de l’EHRC portant sur l’antisémitisme au sein du Labour remis à son successeur Keir Starmer. K. en présente ici une synthèse. Elle rend compte à la fois de ce que fut la réalité de l’antisémitisme au sein du Labour mais aussi de la manière dont, après la démission de Corbyn, les travaillistes surent le regarder en face.

À Marseille, des militantes féministes s’emparent des murs de la ville pour coller des slogans sur l’antisémitisme et la situation des femmes juives. Elles donnent de l’écho à leur action via un compte Instagram. Une démarche qui a surpris dans la troisième communauté juive d’Europe, réputée pour son conservatisme. Yoram Melloul fait le portrait de certaines de ces colleuses, qui se retrouvent souvent prises en étau entre leur environnement traditionnel et leur militantisme.

« Nous allons accueillir, Liliane et moi, des réfugiés ukrainiens. Juifs. J’avais laissé mes coordonnées à une association juive qui cherche des lieux d’hébergement pour des familles ayant fui la guerre. Ce matin j’ai reçu l’appel d’une certaine Esther qui voulait des précisions sur le logement que nous proposions. J’en ai donné une description sommaire : un studio indépendant, attenant à notre appartement, d’une trentaine de m2, tout équipé. La première question d’Esther a été de savoir si c’était casher. J’ai répondu sèchement que non, que le studio n’était pas casherisable, qu’il ne pouvait pas l’être et que, de toutes façons, je ne voulais pas de Juifs orthodoxes. »

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.