# 223 / Edito

Il y a des guerres qui s’éternisent, jusqu’à épuiser les discours dans un long ressassement qui fige l’attention publique. Et il y en a d’autres qui n’attendent pas que le choc initial soit passé ni que les analyses soient stabilisées pour se terminer. Nous avions préparé un numéro consacré à la guerre entre Israël et l’Iran, pour découvrir, à la veille de sa publication, que cette dernière s’écrivait déjà au passé. Ce qu’on peut attendre alors de l’articulation entre ces différentes voix et perspectives portant sur la guerre, et émanant de ce qu’elle a eu pour effet de révéler, c’est – à l’heure où nous écrivons ces lignes et dans le contexte d’une situation qui n’est pas à l’abri de rebondissements possibles – le dégagement de lignes directrices autour desquelles pourrait se reconfigurer ce qui a été déstabilisé.

La première voix, celle qui porte le point de vue européen de K., a eu l’avantage de pouvoir inclure le cessez-le-feu dans son propos. Ce n’était cependant pas là infléchir beaucoup le sens du texte de Bruno Karsenti et Danny Trom, puisqu’il s’agissait précisément de ce qu’ils espéraient, une fois la menace nucléaire iranienne dissipée. Dans la continuité de leur texte de la semaine dernière, ils interrogent la manière dont le soupçon d’une politique militariste de puissance, légitimé dans l’opinion occidentale par les actions effectives du gouvernement israélien à Gaza, s’est trouvé en décalage avec le déroulement du conflit avec l’Iran. Ce qui est en jeu alors, et qui vient d’être éclairé, c’est la différence fondamentale entre une guerre qui limite ses objectifs à garantir la promesse sioniste d’un abri pour les juifs, et une guerre qui a depuis longtemps débordé ce principe et ne peut plus en aucun cas être justifiée. Toute la question est alors de savoir si, de cette clarification, la société israélienne parviendra à faire tirer à son gouvernement les conséquences aux yeux du monde. À quoi il faut seulement ajouter un espoir en miroir : que l’Europe, dont l’inaction vis-à-vis de l’Iran a laissé s’enkyster une situation intenable, renoue avec ses principes politiques fondateurs et les responsabilités qui en découlent.

La deuxième voix porte depuis un Israël bombardé, mais parle avec assurance et clarté.
Dans un entretien accordé à la Frankfurter Allgemeine Zeitung et traduit par nous, Benny Morris, figure majeure des « nouveaux historiens » israéliens, souligne le caractère d’évidence que revêt la guerre avec l’Iran pour de larges pans de la société israélienne, et dissipe, en sa qualité d’historien, certains des mythes qui entourent le conflit au Moyen-Orient. Ce qui se lit alors dans cette perspective israélienne, c’est une conscience nette de ce qui vient faire obstacle à une issue durable au conflit, et des faits avec lesquels la responsabilité des Israéliens ne peut pas transiger.

La troisième voix est celle d’Atefe Asadi, une poétesse iranienne en exil à Hanovre, qui témoigne du désespoir et de la solitude de ce peuple iranien que la fin de la guerre ne doit pas nous faire oublier. Si l’on ne peut, sous aucun prétexte, se ranger à l’opinion que l’écrasement de la souveraineté iranienne par le régime oppressif de la Révolution islamique puisse être résolu par une intervention militaire extérieure, cela ne dispense pas pour autant le monde occidental – et notamment l’Europe – d’agir en accord avec ses principes. Car le témoignage d’Asadi dégage ce qu’il y a d’absolument inacceptable : une situation où le défaut de solidarité internationale fait que les frappes israéliennes en viennent à réveiller, dans une partie du peuple iranien, un espoir longtemps enfoui, et dès lors entaché d’ambivalence et d’humiliation. La flamme de la liberté danse toujours dans le cœur des Iraniens, et il appartient aux démocraties d’accorder leurs actes et leurs discours pour ne pas la laisser s’éteindre.

Le conflit entre Israël et l’Iran des mollahs — qui, à l’heure où nous écrivons, donne tous les signes d’être achevé — a fait ressortir le sens que prend pour Israël l’acte même de la guerre. En ôtant à la République islamique d’Iran les moyens de parvenir à ses fins exterminatrices, Israël redéfinit les conditions concrètes de sa sécurité. Se pose alors, avec d’autant plus d’acuité, la question de la poursuite d’une guerre interminable et meurtrière à Gaza. Mais l’affrontement qui vient de prendre fin interroge également l’inaction de l’Europe face aux menaces criminelles proférées depuis des décennies à l’égard de l’État d’Israël et des Juifs, laquelle n’est que l’autre face de son indifférence au sort du peuple iranien.

Si certaines vérités historiques sont trop souvent tues, leur énonciation ne suppose pourtant pas de prendre la pose du démystificateur. C’est le grand mérite de cet entretien avec Benny Morris, d’abord paru dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung le 20 juin 2025 [à la veille de l’attaque américaine], que d’illustrer la manière dont un travail historique précis et lucide permet de salutaires mises au point politiques. Alors que la guerre avec l’Iran faisait rage, l’historien israélien, figure majeure des « nouveaux historiens » dans les années 1980 et auteur de The Birth of the Palestinian Refugee Problem, 1947–1949 – ouvrage pionnier sur les causes de l’exode palestinien – revenait sur les racines du conflit au Moyen-Orient et lles mythes qui les entourent.

De la guerre Iran-Irak aux soulèvements réprimés dans le sang, jusqu’à la guerre actuelle, enterrant les espoirs nucléaires des Mollahs, la mémoire de la violence traverse toute une génération d’iraniens. Réfugiée en Allemagne, la poétesse iranienne Atefe Asadi nous a confié son témoignage. Elle questionne l’éthique des États face à un régime criminel resté impuni depuis des décennies. Entre souvenirs traumatisants, colère lucide et espoir inflexible, elle trace le portrait d’un peuple abandonné. Elle revient sur les répressions sanglantes, les illusions perdues, la guerre en cours – et continue pourtant de rêver d’un Iran libre.

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.