# 219 / Edito

Quand l’horizon politique semble obstrué par un présent sans issue, le pas de côté de l’utopie ouvre de nouveaux possibles sur lesquels prendre appui. Cette semaine, K. tenait à donner de l’écho au projet « A Land for All – Two States, One Homeland ». Après avoir rencontré l’année dernière en Israël deux de ses piliers, la Palestinienne israélienne Rula Hardal et l’Israélien juif Meron Rappaport, nous publions un entretien où ce dernier présente à Elie Petit les contours et les enjeux du projet, accompagné d’un texte d’introduction écrit par Julia christ, Bruno Karsenti et Danny Trom. Alors que l’affrontement morbide entre l’antisionisme et l’extrême droite juive enferme dans des fantasmes d’annihilations mutuelles, il nous semble vital de donner à entendre toute perspective qui permet de penser l’articulation des revendications légitimes à partir de leur distinction. Evidemment, pour utopique que semble dans la situation actuelle l’idée d’une confédération de deux États-nations souverains, cette perspective ne se formule pas moins à partir d’une saisie réaliste du conflit et de ses enjeux de reconnaissance mutuelle. Reconnaissance, d’abord, d’un attachement légitime à une même terre. Reconnaissance, ensuite, de ce que le conflit implique de traumatismes et de traumatisés chez les deux parties en présence, qui suppose que chacune admette de les reconnaître sans quoi, entrer dans un processus de résolution politique véritable est impossible. L’intuition éminemment pragmatique qui oriente cette utopie est en somme la suivante : c’est dans le conflit entre deux revendications nationales légitimes que germe la perspective d’une intégration au sein d’un espace politique partagé. Maintenir son tranchant critique, alors, exigera de lutter contre les inévitables tentatives de faire oublier ce que cette utopie suppose de reconnaissance mutuelle.

Le numéro de cette semaine s’ouvre sur un projet qui regarde résolument vers l’avenir. Il se referme sur une voix venue du passé, celle de Milena Jesenská — figure libre et incandescente, trop souvent réduite à n’être considérée que comme la destinataire des lettres de Kafka. Dans l’hommage qu’elle lui consacre, Christine Lecerf redonne à Milena toute sa stature : celle d’une femme engagée, d’une écrivaine, d’une résistante. Ce qu’elle appelle « l’effet Milena », c’est notamment cette capacité rare à comprendre la peur, à la nommer, parfois à la désarmer — chez Kafka, comme à Ravensbrück, où elle est morte en mai 1944.

Alors que la situation à Gaza s’aggrave et que le débat politique israélien se radicalise toujours plus, tout projet de solution au conflit israélo-palestinien semble décalé. Pourtant, nombreux sont ceux qui préparent l’avenir. Un projet politique, A Land for All – Two States, One Homeland mérite une attention particulière. Il propose deux États souverains liés par une confédération, reconnaissant chacun les légitimités nationales de l’autre, et organisant la coexistence sur toute la terre disputée. Dans un contexte marqué par l’impasse militaire, la fatigue démocratique et la montée des lectures antisionistes en Europe, y compris de ce projet, que penser d’une telle construction utopique ?

Journaliste israélien, ancien reporter pour Yediot Aharonot et Haaretz, Meron Rapoport a cofondé avec le Palestinien Awni Al-Mashni l’initiative A Land for All [une terre pour tous], qui propose une solution inédite au conflit israélo-palestinien : deux États pleinement souverains, mais liés par une confédération, Jérusalem pour capitale partagée, une frontière ouverte, et un droit au retour négocié des deux parts. Dans cet entretien, Rapoport revient sur son parcours personnel, sur sa rupture avec le paradigme de la séparation, et sur la nécessité de penser, à rebours des logiques d’exclusion, un avenir fondé sur le partage, la réciprocité et la démocratie.

Milena Jesenská fut bien plus que la simple héroïne de la correspondance passionnée qu’elle eût avec Kafka : journaliste brillante, femme libre et engagée – devenue ‘Juste parmi les nations’ en 1994. Par son intelligence et sa force de caractère, elle captivait Kafka, à qui elle inspira certaines de ses plus belles lettres. Comme elle captiva Margarete Buber-Neumann, avec qui elle fut déportée à Ravensbrück et qui lui consacra un splendide livre-portrait. Christine Lecerf, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la mort de Milena, témoignait de son admiration pour la femme que Kafka disait vouloir  « [emporter] dans ses bras hors du monde ». 

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.