Quand l’horizon politique semble obstrué par un présent sans issue, le pas de côté de l’utopie ouvre de nouveaux possibles sur lesquels prendre appui. Cette semaine, K. tenait à donner de l’écho au projet « A Land for All – Two States, One Homeland ». Après avoir rencontré l’année dernière en Israël deux de ses piliers, la Palestinienne israélienne Rula Hardal et l’Israélien juif Meron Rappaport, nous publions un entretien où ce dernier présente à Elie Petit les contours et les enjeux du projet, accompagné d’un texte d’introduction écrit par Julia christ, Bruno Karsenti et Danny Trom. Alors que l’affrontement morbide entre l’antisionisme et l’extrême droite juive enferme dans des fantasmes d’annihilations mutuelles, il nous semble vital de donner à entendre toute perspective qui permet de penser l’articulation des revendications légitimes à partir de leur distinction. Evidemment, pour utopique que semble dans la situation actuelle l’idée d’une confédération de deux États-nations souverains, cette perspective ne se formule pas moins à partir d’une saisie réaliste du conflit et de ses enjeux de reconnaissance mutuelle. Reconnaissance, d’abord, d’un attachement légitime à une même terre. Reconnaissance, ensuite, de ce que le conflit implique de traumatismes et de traumatisés chez les deux parties en présence, qui suppose que chacune admette de les reconnaître sans quoi, entrer dans un processus de résolution politique véritable est impossible. L’intuition éminemment pragmatique qui oriente cette utopie est en somme la suivante : c’est dans le conflit entre deux revendications nationales légitimes que germe la perspective d’une intégration au sein d’un espace politique partagé. Maintenir son tranchant critique, alors, exigera de lutter contre les inévitables tentatives de faire oublier ce que cette utopie suppose de reconnaissance mutuelle.
Le numéro de cette semaine s’ouvre sur un projet qui regarde résolument vers l’avenir. Il se referme sur une voix venue du passé, celle de Milena Jesenská — figure libre et incandescente, trop souvent réduite à n’être considérée que comme la destinataire des lettres de Kafka. Dans l’hommage qu’elle lui consacre, Christine Lecerf redonne à Milena toute sa stature : celle d’une femme engagée, d’une écrivaine, d’une résistante. Ce qu’elle appelle « l’effet Milena », c’est notamment cette capacité rare à comprendre la peur, à la nommer, parfois à la désarmer — chez Kafka, comme à Ravensbrück, où elle est morte en mai 1944.