# 215 / Edito

À chaque édition des Jeux olympiques, la liste des disciplines ouvertes à la compétition se renouvelle. Les critères de choix du Comité restent nimbés d’une certaine obscurité, mais, si l’on se fie à la croissance régulière du nombre d’adeptes et à leur capacité à battre des records, un sport parmi ceux qui fédèrent les foules contemporaines paraît devoir être pris en considération. Il s’agit de l’art de la comparaison outrancière, où les véritables champions se signalent par le fait qu’ils osent tout, et dont les premières divisions sont mobilisées pour faire équivaloir la Shoah avec à peu près n’importe quoi. Le grand historien allemand Stephan Malinowski nous propose cette semaine un petit tour d’horizon des pionniers de cette discipline de haut vol, retraçant certains de leurs plus fameux hauts faits et nous éclairant par-là sur la richesse et la diversité des héritages qui ont structuré cette pratique exigeante. Que sur le podium figurent à la fois nazis, post-coloniaux et communistes – tandis que Gandhi n’obtient qu’une mention honorable – témoigne du potentiel fédérateur de cette discipline en pleine ascension.

Kafka n’est jamais allé en Amérique, ce qui n’a pas empêché son imagination d’y voyager, au risque de la déformation… À l’occasion d’une exposition new-yorkaise consacrée au grand écrivain tchèque, Mitchell Abidor interroge la manière dont son expérience de Juif européen a trouvé à se transposer aux États-Unis. Un nom semble alors incontournable : celui de Philip Roth, dans l’œuvre duquel l’influence de Kafka transparaît en permanence. L’admiration pour l’écrivain de génie se confond avec une identification à des problématiques communes : du rapport insoluble à la judéité jusqu’aux étouffants complexes familiaux et sexuels. Abidor nous fait ainsi découvrir une des plus importantes relectures américaines de Kafka, dont la sincérité de l’hommage n’empêche pas qu’elle prenne parfois une tournure parodique.

Marta Caraion sera présente au Mémorial de la Shoah le dimanche 4 mai pour présenter son livre Géographie des ténèbres. Bucarest – Transnistrie – Odessa, 1941-1981 (Fayard 2024). À cette occasion, nous republions son entretien avec Elena Guritanu, où elle évoque son rapport singulier à l’écriture et à la mémoire de la Shoah roumaine.

Tous les massacres se ressemblent, quand on a sciemment décidé de se défaire de la précision analytique qui permettrait de les différencier. Mais où cet amour de la comparaison galvaudée, si courant aujourd’hui, plonge-t-il ses racines ? Stephan Malinowski s’emploie ici à repérer les filiations intellectuelles croisées et paradoxales dans lesquelles s’inscrit cette grande confusion.

Kafka, nos lecteurs le savent, est un écrivain dont l’œuvre est profondément ancrée dans l’expérience européenne, et juive, du début du XXe. Mais l’imaginaire voyage. À l’occasion d’une exposition new-yorkaise sur la vie et l’œuvre de Kafka, Mitchell Abidor nous fait découvrir son rapport à l’Amérique et l’influence qu’il y a eu, notamment à travers un de ses plus fervents admirateurs : Philip Roth.

L’Europe du XXe siècle connaît des lieux dont le nom est indissociable des atrocités qui y ont été commises. Auschwitz, Majdanek, Buchenwald, Dachau, Bergen-Belsen… Tous n’ont cependant pas une sonorité allemande ou polonaise. La trajectoire familiale, faite de survie et d’exil, que Marta Caraion retrace dans Géographie des ténèbres. Bucarest-Transnistrie-Odessa, 1941-1981, dessine une autre toponymie de l’effroi. Transformée par la Roumanie du maréchal Antonescu en laboratoire d’épuration ethnique, la Transnistrie en est le nœud le plus sombre. Un nœud que ce récit intime et brillamment documenté parvient à défaire, fil par fil, mettant à nu la mémoire longtemps occultée de la Shoah roumaine.

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Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.