# 212 / Edito

S’il fallait une preuve supplémentaire de la pente autoritariste dans laquelle s’enfonce actuellement le gouvernement israélien, on la trouvera dans le traitement qu’il réserve aux intellectuels critiques. Ainsi du cas d’Eva Illouz, contributrice fidèle de la revue K. : sa nomination au Prix Israël vient d’être contestée par le ministre israélien de l’Éducation, au motif qu’elle diffuserait une « idéologie anti-israélienne », accusation qui évolue dans ses derniers développements vers celle d’une trahison du peuple juif. Pour revenir sur cette affaire, et ce qu’elle donne à voir de l’état de la démocratie israélienne, Eva Illouz a accepté de répondre à nos questions. Elle évoque dans cet entretien l’inconfortable position qui est la sienne, dans laquelle se réfracte l’étau qui enserre les juifs n’ayant pas oublié leur attachement au progressisme : « traitres » à l’universalisme de gauche pour leur défense de l’idée sioniste, « traitres » à Israël pour leur critique de l’autoritarisme de son gouvernement et pour leur défense des droits des Palestiniens…

Qu’après le génocide arménien et la Shoah, la passion génocidaire ne soit nullement éteinte, c’est ce qu’ont révélé les crimes commis au Rwanda en 1994, par leur ampleur inouïe et leur caractère systématique d’exécution de chaque membre du peuple tutsi, visé à la fois individuellement et indistinctement. À l’heure où les rescapés vieillissent et où le négationnisme du crime qui les a frappés continue de circuler, et alors que les usages contemporains du terme de génocide dénotent une volonté d’anathème plutôt que de mise en intelligibilité de la situation, il nous a semblé nécessaire de rappeler ce qu’engage la mémoire du génocide. C’est pourquoi nous republions un reportage écrit en 2007 pour Charlie Hebdo par Stéphane Bou, qui interroge la durée du génocide des Tutsis et le travail mémoriel propre à cette épreuve.

Tout le monde apprécie les œufs en chocolat, et la saveur de l’agneau pascal (ou de ce qui en tient lieu) reste finalement assez consensuelle. Plus discriminant déjà est l’appétit pour le miracle de la résurrection et la rédemption des péchés. Mais, s’il est un mets d’exception que seuls certains savent goûter à sa juste valeur, c’est celui de la parole échangée. À l’occasion de la Pâque juive et du repas du seder, Ivan Segré nous a confié un texte interrogeant ce que l’on trouve à se mettre sous la dent lors de ce « festin de paroles », où se partage le récit d’une libération qui n’en finit pas de s’accomplir. Le comparant au banquet gréco-romain, il met en évidence l’opposition juive à l’usage de la liberté et de la parole que font les maîtres.

Accusée par le Ministre israélien de l’Éducation d’ « idéologie anti-israélienne », la sociologue Eva Illouz a vu sa nomination au Prix Israël contestée. Dans cet entretien, elle revient sur l’affaire, dénonce les dérives autoritaires du gouvernement de Benjamin Netanyahu, et défend une position intellectuelle à la fois critique, universaliste et profondément attachée à l’État d’Israël. Pour elle, « Ce gouvernement fait comme si ceux qui se battent pour qu’Israël ne devienne pas un État paria étaient des ennemis ».

Qui est invité à partager le repas de l’humanité libérée, et qu’y trouve-t-on à se mettre sous la dent ? À travers une comparaison entre le seder et le banquet gréco-romain, Ivan Segré met en évidence une conception proprement juive de la libération, et de ce qu’elle implique. Car ce qui se partage lors de ce « festin de paroles » juif, c’est le récit d’une libération qui eut lieu mais qui, pour être effective, doit se rejouer pour chaque être humain : « où en es-tu, singulièrement, avec le récit de ta propre sortie d’Égypte ? ».

Entre avril et juillet 1994, en un peu plus de trois mois, près d’un million de Tutsis ont été assassinés au Rwanda. Écrit en 2007, K. republie aujourd’hui ce texte de Stéphane Bou, à l’occasion de la semaine de commémoration du début du génocide. À l’heure où les rescapés vieillissent et où le négationnisme du crime qui les a frappés continue de circuler, il nous a semblé important de donner une nouvelle vie à ce reportage qui plongeait dans un pays encore pétrifié par l’horreur, où les souvenirs des massacres s’infusent partout, dans les mots, les silences, les corps, les paysages. Il témoigne de la durée du génocide – sa persistance psychique, sociale, politique – et du travail mémoriel propre à l’épreuve génocidaire.

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.