Le discours prononcé à Munich par le vice-président américain J. D. Vance a rendu perceptible, au moins pour la frange de la conscience européenne qui a su rester lucide, une urgence : l’Europe, restée léthargique depuis des années maintenant et ceci malgré les menaces qui pointaient et que Vance a seulement eu le mérite douteux de prononcer à haute voix, doit se ressaisir. Se ressaisir toutefois – et pour importante que soit la réflexion sur une politique de défense européenne commune – ne saurait se limiter à une prise en compte de la realpolitik. Il faut sur ce point être sensible au diagnostic en forme de pied de nez que nous a adressé Vance, en déplorant le supposé divorce de l’Europe avec les valeurs démocratiques et de liberté d’expression si chères aux États-Unis, alors même que le régime trumpiste prend le chemin de l’autoritarisme ouvert et de la censure systématique. En l’absence d’une conception forte de l’Europe et de sa vocation politique, le risque est que le même chemin soit suivi, et qu’à la léthargie d’un libéralisme qui, depuis belle lurette, n’a plus réfléchi aux ressorts politiques de son existence, succède le cauchemar bien réel d’un souverainisme inféodé aux grandes puissances et jouant la « démocratie » contre le droit.
À très court terme, celui des élections fédérales décisives qui auront lieu en Allemagne ce week-end, ce cauchemar a un nom : AfD. Nous publions en conséquence un texte de Monty Ott sur l’histoire de ce mouvement, et le cataclysme démocratique que représenterait la collaboration des partis conservateurs avec l’extrême droite. Vance a d’ailleurs indiqué où se trouvaient ses alliés, en rencontrant la candidate à la chancellerie de l’AfD Alice Weidel, et en qualifiant le traitement de ce parti de « déni de démocratie ». On sait par ailleurs les sympathies qui unissent les réseaux internationaux de l’extrême droite à la Russie de Poutine. Le paradoxe n’est qu’apparent : le souverainisme de la « préférence nationale » vient s’inféoder aux grandes politiques de puissance nationale, dans la mesure où il ne connait pas d’autre politique que la force.
C’est contre cette menace que l’Europe doit être en mesure de formuler l’exceptionnalité de son projet politique, qui se soutient justement d’une défiance, acquise dans l’épreuve de l’histoire, envers toute politique de puissance. Aujourd’hui, c’est le sort propre aux « petites nations », celui d’une expérience vertigineuse de la précarité de leur existence, qui doit éclairer le destin de l’Europe et l’amener à se ressaisir. C’est au-dessus du principe même de leur existence que les nuages s’amoncellent, mais, comme a su le démontrer l’Ukraine depuis 2 ans, la « petite nation » n’est pas sans ressources. Pour appuyer ce point, nous publions un témoignage de Joseph Roche sur la manière dont Odessa, et encore en son sein, la « petite nation » juive, a su subsister dans la guerre.
Et, pour accompagner ce diagnostic, nous redonnons à lire le texte de Danny Trom « Kundera politique ». On s’y rappellera qu’Israël était pour Kundera la « petite nation par excellence », et que l’alternative politique qui s’y dessine en fait l’avant-poste de ce que l’Europe doit être amenée à réaliser sur elle-même : dans l’épreuve, elles se rejoignent.