# 158 / Edito

L’abstention des États-Unis lors du dernier vote — ce 25 mars 2024 — du conseil de sécurité de l’ONU semble indiquer qu’un écart se creuse entre Israël et son protecteur historique. Assistons-nous au divorce entre Israël et les États-Unis ?  

Le texte de Jean-Claude Milner que nous publions cette semaine a été écrit avant ce vote, et pourtant il l’éclaire sous un jour singulier. En effet, Milner nous livre son analyse de cette idylle apparemment en voie de finir, rupture à ses yeux déjà consommée. Comme souvent dans les affaires de cœur, le divorce survient quand les illusions qui cimentaient la relation tombent. Ici, celles qu’identifie l’analyse de Milner sont tout entières américaines : elles tiennent à la projection sur Israël, seule démocratie du Proche et Moyen Orients, des valeurs de l’american way of life et, en premier lieu, du credo occidental de la paix. Si les États-Unis peuvent abandonner leur soutien inconditionnel à Israël, et chercher à le mettre sous tutelle, ce serait alors parce que les juifs américains sont, depuis longtemps déjà, davantage identifiés au monde WASP qu’au monde juif.   

L’analyse de Milner, ainsi énoncée dans ses implications radicales, est limpide ; mais est-elle vraiment le dernier mot de l’histoire ? Elle nous semble fournir matière à discussions, et nous lui ajoutons donc un commentaire signé par Danny Trom et Bruno Karsenti. Il suffit d’écouter le discours du sénateur démocrate juif Chuck Schumer pour retrouver une perspective européenne vivante au sein même du cœur du pouvoir américain. La critique de la forme prise aujourd’hui par la politique militaire israélienne peut en effet être une position authentiquement juive. C’était bien le sens du texte « Gaza : Comment (s’)en sortir », que nous avons publié dans K. il y a deux semaines. Et c’est encore de ce type de conscience politique, imprégnée d’histoire européenne, que nous a semblé témoigner le discours récent de Chuck Schumer[1]

Comme en écho de ces problématiques, nous publions aussi cette semaine la dernière chronique de Macha Fogel. Sa plongée dans le monde yiddish la conduit cette fois-ci vers le courant de Satmar, dont la presse yiddishophone irrigue depuis Brooklyn le monde hassidique. Comment ces juifs, américains mais pas identifiés aux WASP, antisionistes et néanmoins inquiets de l’antisémitisme sur les campus, parlent-ils de la guerre à Gaza ?

Notes

1 « Mon nom de famille est Schumer, qui dérive du mot hébreu Shomer, qui signifie ‘gardien’. Bien sûr, ma première responsabilité va à l’Amérique et à New York. Mais en tant que premier leader juif de la majorité au Sénat des États-Unis, et en tant qu’élu juif le plus haut placé de l’histoire des États-Unis, je ressens aussi très fortement ma responsabilité en tant que Shomer Yisroel, c’est-à-dire gardien du peuple d’Israël. Tout au long de l’histoire juive, il y a eu de nombreux Shomrim, et beaucoup d’entre eux étaient bien plus grands que je ne prétends l’être. Néanmoins, c’est la position dans laquelle je me trouve aujourd’hui, à un moment de grande difficulté pour l’État d’Israël, pour le peuple juif comme pour les amis non juifs d’Israël. »

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.