# 113 / Edito

Barbara Honigmann vient d’obtenir le prix Goethe, l’un des plus prestigieux prix littéraires allemands. À cette occasion, nous sommes heureux de publier un texte de cette auteure née à Berlin-Est et aujourd’hui installée à Strasbourg. Son portrait de Jakob Wassermann, écrivain symptomatique du malaise ressenti par une génération à l’idée d’être à la fois juive et allemande – ou de ne pas être vraiment ni l’un, ni l’autre, que nous avions publié l’année dernière, avait déjà marqué nos lecteurs. Celui qu’elle dresse aujourd’hui d’Elisabeth Langgässer (1899-1950) prolonge sa réflexion sur ces figures clivées propre à l’Allemagne de la première moitié du XXe siècle. Fille d’un juif originaire de Mayence (l’une des plus anciennes communautés juives d’Allemagne, la communauté des martyrs de l’an 1096) qui s’est converti au catholicisme, Elisabeth Langgässer deviendra une écrivaine chrétienne fervente, s’inscrivant dans une tradition mystique. Bien qu’elle ait voté pour Hitler en mars 1933, elle fut exclue de la Chambre de la littérature du Reich en 1936, car classée par les lois racistes de Nuremberg comme à moitié juive, et interdite de publication. Comprenant si mal ce qui lui arrive, elle écrit directement à Goebbels pour lui demander d’être réintégrée, en mentionnant le fait que son talent artistique provient exclusivement de sa lignée maternelle, purement aryenne. Sa fille, Cordelia, née avant son mariage et considérée comme totalement juive, sera, elle, déportée à Auschwitz. Face à cette trajectoire familiale, Barbara Honigmann pose la question : Elisabeth Langgässer, un « destin juif ? »

Suite à la publication dans le numéro précédent de K. des bonnes feuilles de la pièce d’Evguéni Tchiriko Les Juifs (1906), nous diffusons cette semaine un entretien que nous a accordé son traducteur et éditeur André Markowicz, réalisé en partenariat avec Akadem. André Markowicz y revient à la fois sur le contexte de cette œuvre dont il ne connaissait pas l’existence avant de la découvrir par hasard et qu’il considère comme absolument unique dans l’histoire de la littérature russe, ainsi que sur la présence-absence singulière des figures juives dans cette histoire.

Enfin, en cette semaine qui suit le premier tour de l’élection présidentielle turque, nous republions le texte de François Azar consacré à ce que ce dernier nomme « la nouvelle visibilité de la communauté juive » en Turquie. Passée de 100.000 personnes au début du siècle à 10.000 aujourd’hui, il s’agit de l’une des dernières communautés juives du monde musulman. Elle parait en sursis aujourd’hui mais elle n’en a pas moins engagé un patient travail de restauration culturelle et linguistique, comme en témoigne la série turque diffusée sur Netflix Kulüp [The Club], que commente François Azar.

En recevant le prix littéraire Elisabeth Langgässer en 2012, Barbara Honigmann a prononcé un discours qui représentait un défi pour elle. Car comment faire le portrait d’un écrivain, fervente catholique, si problématique à ses yeux ? Parce que « demi-juive », Elisabeth Langgässer fut interdite de publication par un régime nazie dont elle voulait tant qu’il l’absolve de son origine qu’elle écrivit à Goebbels pour lui demander d’être réintégrée au sein de la Chambre de la littérature du Reich, arguant que son talent provenait exclusivement de sa lignée maternelle, purement aryenne…

Nous avons publié dans K. un fragment de la pièce d’Evguéni Tchirikov ‘Les Juifs’, écrite en 1906 et que viennent de publier les Éditions Mesures. L’entretien, réalisé en partenariat avec Akadem, que nous donne cette semaine son traducteur André Markowicz permet de mieux comprendre le sens et la singularité de cette œuvre.

Les Juifs turcs étaient 100.000 au début du XXe siècle, ils ne sont plus que 10.000 aujourd’hui. L’une des dernières communautés juives du monde musulman, confrontée à de nouveaux défis, paraît en sursis aujourd’hui. François Azar revient sur l’histoire d’une minorité qui a traditionnellement cultivée la kayadez (la discrétion dans l’espace public) mais qui entend se rendre davantage visible dans la société turque.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.