À propos de la pétition « The Elephant in the room » : Réponse d’Abe Silberstein

Près de 2500 personnalités publiques, pour la plupart israéliennes et américaines (dont un très grand nombre d’universitaires), ont signé une lettre ouverte, The Elephant in the room, appelant à s’élever contre le « but ultime » de la réforme judiciaire portée par le gouvernement israélien actuel : le maintien du « régime d’apartheid ». Cette dernière qualification est contestable – et contestée même par certains des signataires de la pétition. Pourquoi néanmoins l’avoir signée ? Réponse d’Abe Silberstein.

>>> A propos de la lettre ouverte The Elephant in the room, lire : « Apartheid : un éléphant peint en rouge ».
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Vous avez signé une pétition qui est un cri d’alarme concernant la politique actuelle d’Israël et la lente évolution ayant abouti à une telle situation. La présente pétition utilise le terme d’ « apartheid » pour décrire ladite politique, telle qu’elle est menée tant à l’intérieur des frontières que dans les territoires occupés, et approuve le recours à ce vocable pour décrire la situation israélienne. Votre signature au bas de la pétition a-t-elle valeur de mea culpa dans la mesure où vous admettez que la description était déjà valable auparavant ? Ou bien avez-vous signé et choisi cette formulation pour dénoncer la politique actuelle du gouvernement d’extrême droite en Israël ?

Par le passé, j’ai refusé d’utiliser le terme d’ « apartheid » pour décrire le statu quo en Israël/Palestine et ce pour deux raisons. La première tenait à son inexactitude historique et juridique : l’apartheid en Afrique du Sud impliquait un système strict de ségrégation raciale de jure qui n’existe manifestement pas en Israël ; quant au crime d’apartheid tel qu’il est défini dans le droit international, je ne pensais pas qu’il décrivait au mieux les actions d’Israël à l’égard des Palestiniens. Ma position à l’époque, et encore aujourd’hui, est qu’Israël ne s’acquitte manifestement pas des obligations lui incombant, en vertu de la quatrième convention de Genève, en qualité de puissance occupante. Je ne pense pas que la violation de ces obligations soit une atteinte plus grave ou moins grave, d’un point de vue normatif, aux droits fondamentaux que l’instauration de l’apartheid.

Ma deuxième objection était d’ordre politique et philosophique. Si Israël impose un régime d’apartheid aux Palestiniens — qu’ils soient citoyens israéliens, sujets occupés en Cisjordanie, résidents précaires de Jérusalem-Est ou habitants enclavés de Gaza —, la solution passe nécessairement par un changement visant à remédier aux conditions prévalant dans tous ces domaines. Loin de moi l’idée de nier les déficiences morales d’Israël dans chacun de ces domaines ; je n’ai jamais été du genre à chanter les louanges de la démocratie israélienne à l’intérieur de la Ligne verte. Pourtant, l’établissement d’un parallèle entre la situation dans les territoires et celle régnant à l’intérieur d’Israël m’a toujours posé problème. Je pense que ce rapprochement, en déclenchant une attaque plus large contre le sionisme, a desservi une remise en cause légitime d’un colonialisme anachronique dans lesdits territoires. Telle est en fait l’intention d’une partie des utilisateurs du terme « apartheid ». Leur solution de prédilection était et reste celle d’un État unique entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Je pense également que l’idée qu’Israël a imposé un régime uniforme d’apartheid est fondamentalement dénuée de toute vérité historique, car elle ne tient pas compte des nombreuses contingences ayant jalonné la route qui nous a mené là où nous sommes aujourd’hui.

Pourtant, j’ai signé la pétition « L’éléphant dans la pièce », laquelle — comme vous l’avez noté — affirme que l’occupation « a produit un régime d’apartheid ». Mon interprétation de la pétition est qu’elle est délibérément ambiguë sur ce qu’elle entend par « régime d’apartheid ». Elle peut ainsi recueillir la signature aussi bien des partisans de la thèse selon laquelle Israël a institutionnalisé l’apartheid dans la totalité des zones qu’il contrôle (la position de Human Rights Watch, d’Amnesty International et de B’Tselem) que celle des partisans d’une limitation de cette qualification aux seuls territoires occupés (la position de Yesh Din). Dans la mesure où je ne suis globalement convaincu, ni par l’un, ni par l’autre de ces arguments, cette ambiguïté n’a eu aucune incidence sur ma décision de signer. Il me semble pourtant qu’elle valait la peine d’être analysée puisque votre question ne tient pas compte de la première éventualité. Il est certain que tous les signataires ne définissent pas l’apartheid en Israël/Palestine de la même manière.

Alors, pourquoi ai-je signé ? Tout simplement parce que je suis d’accord avec presque tout ce que dit la pétition. Son message général, à mon avis, est crucial. La raison pour laquelle le gouvernement d’extrême droite de Jérusalem tente son coup de force n’est pas de favoriser la corruption au niveau individuel, même si telle pourrait bien être la part du marché du Premier ministre Benjamin Netanyahou. Les Haredim, bien que favorables à une clause dérogatoire pour protéger leurs intérêts sectoriels, ne sont guère enthousiastes. Les Likoudniks laïques — du moins ceux qui soutiennent encore Netanyahou — ne voient certes pas la Haute Cour d’un bon œil, mais ne semblent pas non plus avoir fait de la sape de cette juridiction leur principale priorité. (En fait, ils semblent assez irrités par le zèle du ministre de la Justice Yariv Levin). Cette prétendue réforme est principalement menée par les partis de la droite radicale, le Parti sioniste religieux et le Parti du pouvoir juif, à savoir les deux formations les plus étroitement associées aux colons.

En Israël, les acteurs de la protestation ont fait tardivement le lien entre les leaders idéologiques de l’occupation et l’assaut contre la démocratie à l’intérieur de la ligne verte. Je pense qu’ils réalisent enfin que la démocratie en Israël et la dictature coloniale dans les territoires occupés sont foncièrement incompatibles et que la seconde vise à asphyxier la première afin d’accroître et de pérenniser la colonisation. Lors des manifestations, il est désormais fréquent d’entendre « Où étiez-vous à Huwara ? » scandé à l’adresse des policiers israéliens. Il s’agit d’une référence à un pogrom, perpétré par des colons au début de l’année, que l’armée et la police des frontières ne sont pas parvenues à arrêter. Peut-être mon interprétation est-elle trop optimiste, mais je pense que les colons et leurs alliés ont surestimé leur force en lançant leur coup d’État avant d’avoir atteint la majorité démographique que l’on nous annonce comme inéluctable. Ils ont ainsi dopé non seulement la population aisée de Tel-Aviv, mais aussi les juifs plus conservateurs de la classe moyenne israélienne. Ils ont réveillé un géant endormi. La présente pétition vise à inciter les dirigeants juifs américains — dont certains pourraient encore croire que la solution réside dans un compromis entre « frères » élaboré dans la résidence du Président Herzog — à prêter attention à l’évolution de la situation sur le terrain. Il s’agit désormais de bien plus que de l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Cette dynamique consistant à dire « Plus jamais le silence » dépasse-t-elle le simple fait d’ouvrir les vannes de la critique ? En d’autres termes, avez-vous l’intention d’initier dans les relations entre la diaspora et Israël un changement dans lequel cette dernière ne se contentera pas de pouvoir exprimer son opinion sur la politique interne de l’État hébreu, mais ira jusqu’à prendre ses distances lorsque ladite politique dérogera aux règles d’un État de droit ? Voyez-vous l’émergence d’un changement dans l’équilibre du monde juif ?

Je pense que cette question est au cœur du débat. Avant de répondre, permettez-moi de préciser que si je suis en mesure de parler avec une certaine crédibilité de la situation au sein de la diaspora juive américaine et si je reste plus ou moins informé des réactions des Juifs britanniques aux événements en Israël, j’ignore tout de la situation en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Amérique du Sud et ailleurs. Au sein de ces communautés, le tableau pourrait être similaire ou radicalement différent.

Dans la communauté juive américaine, la tempête politique déclenchée par le coup d’État antijudiciaire de Benjamin Netanyahou a accéléré une crise du pouvoir qui couvait depuis une dizaine d’années. Auparavant, du moins depuis le début de ce siècle, il régnait ce que d’aucuns appelaient « un consensus de l’establishment », un credo reposant sur trois piliers : Israël est une démocratie qui n’est pas plus (et peut-être moins) imparfaite que n’importe quelle autre en Occident ; lorsque le gouvernement israélien déclare qu’une action répond à des impératifs de sécurité, nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer sur la question ; et la solution des deux États est un résultat souhaitable qui n’a pas pu être atteint de la seule faute des dirigeants palestiniens.

Cette position de principe n’est plus tenable. La droite de la communauté a déjà cessé d’appuyer ce projet à l’issue d’une lente évolution et non d’un soudain revirement. Le soutien de l’establishment juif américain au gouvernement Sharon lors du retrait de Gaza a radicalisé certains éléments de la communauté sioniste religieuse. Pendant le mandat de Barack Obama, les organisations de l’establishment se sont montrées assez critiques à l’égard de la gestion par cette Administration des relations avec Israël et de l’accord sur le nucléaire iranien, même si Obama a toujours bénéficié du soutien d’une importante majorité de juifs américains. Cette attitude critique n’a toutefois pas suffi à la droite juive qui a quasiment considéré Obama comme un antisémite et a commencé à se rapprocher de l’extrême droite israélienne. Même un engagement totalement vide de sens en faveur de la solution à deux États devenait trop difficile à avaler pour eux. Vers la fin de sa vie, Sheldon Adelson avait cessé de soutenir l’AIPAC [le plus grand lobby pro-israélien aux États-Unis] et entrepris de financer des initiatives plus partisanes. Les publications juives de droite attaquaient régulièrement les organisations de l’establishment, en particulier l’Anti-Defamation League, qu’elles jugent trop libérales.

Dans le même temps, les libéraux les plus progressistes et les plus à gauche (un groupe dans lequel je m’inclus) commençaient à se lasser de l’influence démesurée de la droite au sein de l’establishment, d’autant plus que celle-ci ne respectait même pas sa part de l’accord implicite. La minorité non négligeable des juifs américains ayant soutenu la diplomatie du président Obama avec l’Iran, sans parler de la majorité ayant soutenu les efforts infructueux de l’Administration de celui-ci en faveur d’une solution à deux États, n’ont pratiquement pas eu voix au chapitre à la Conférence des présidents des principales organisations juives américaines. Seule J Street, qui avait été empêchée par la droite de rejoindre la Conférence, parlait réellement en leur nom.

La fissure la plus importante dans cette coalition est apparue avec Trump. L’aile droite de la communauté juive, une minorité bien distincte, a trouvé un accès sans précédent aux allées du pouvoir. Si, par le passé, elle se sentait obligée de consentir à des compromis en raison de sa position de faiblesse par rapport à la majorité libérale du judaïsme américain, elle estime aujourd’hui pouvoir remporter une victoire totale. Dans le cadre de certaines initiatives, elle a même devancé l’establishment. Ainsi, la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté israélienne imposée unilatéralement sur tout Jérusalem (et du déménagement concomitant de l’ambassade) jugée prioritaire en théorie par les principales organisations juives américaines demeurait en fait lettre morte compte tenu de son caractère irréaliste. Les divers candidats à la Présidence promettaient d’appliquer cette mesure, avant de se rétracter une fois élus. C’est une réalité que l’establishment acceptait, au grand dam de la droite juive. Avec Trump, cette même droite a trouvé un président désireux de défendre ses intérêts. Plus besoin de faire des compromis, elle pouvait tout obtenir. Son seul échec pendant le mandat de Trump a été de ne pas obtenir l’annexion partielle de la Cisjordanie par Israël, ce dont nous sommes redevables aux Émirats arabes unis.

La réaction des progressistes à l’égard de Trump doit également être prise en considération. L’establishment juif américain a publié des déclarations s’opposant au racisme vulgaire de Trump et à ses politiques xénophobes, mais il lui a été difficile d’aller beaucoup plus loin dans sa critique systématique en raison de l’engagement de l’intéressé en faveur d’Israël et du fait qu’il représente également les juifs de droite. Un jour, ses membres condamnaient Trump et le lendemain ils faisaient l’éloge de la dernière concession accordée à Israël par son Administration. Ils n’ont jamais pu maintenir une position de répulsion totale à l’égard de l’occupant de la Maison-Blanche. Les juifs progressistes, en revanche, partageaient l’avis des autres progressistes américains. Nous étions totalement révoltés par Trump. Nous n’étions pas prêts à faire des concessions. Ce dégoût s’étendait également à l’ensemble du Parti républicain, ce qui rendait la nature bipartisane d’une grande partie du travail de l’establishment extrêmement peu attrayante. Récemment, l’AIPAC a exacerbé ces difficultés, sans qu’on puisse lui reprocher pour autant de les avoir fait naître, en intervenant publiquement et directement dans les campagnes électorales, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant. Comme d’habitude, il a soutenu à la fois des démocrates et des républicains, mais le nombre de donateurs démocrates disposés à ce que certaines de leurs contributions soient affectées à des personnes comme Jim Jordan et Scott Perry [partisans des efforts de Trump pour s’accrocher illégitimement au pouvoir après avoir perdu les élections de 2020] s’avère heureusement faible. Aujourd’hui, l’AIPAC est donc de plus en plus et à juste titre considéré comme une organisation de centre droit, même s’il bénéficie encore du soutien de certains membres démocrates du Congrès.

Le résultat de ce qui précède est qu’au moment où le gouvernement israélien actuel est entré en fonction, seuls quelques libéraux et centristes adhéraient encore à la position de l’establishment au sein de la communauté juive américaine. La droite campait dans le Trumpland et les progressistes s’étaient eux aussi éloignés du centre. Le coup d’État antijudiciaire a maintenant commencé à creuser une distance entre les libéraux restants et la position de l’establishment. Les juifs libéraux ont fait le lien évident entre la tentative de Trump de saper la démocratie américaine et le changement de régime voulu par Netanyahou. L’establishment centriste a lui aussi exprimé ses inquiétudes quant aux propositions du gouvernement Netanyahou, mais il est foncièrement incapable d’égaler la rhétorique et les cris d’alarme de l’opposition. Il ne peut pas interpréter la situation actuelle comme faisant peser une grave menace sur la démocratie israélienne, même s’il en est intimement persuadé. Après tout, que se passera-t-il si la réforme judiciaire est adoptée dans son intégralité ? Devra-t-il alors admettre qu’Israël n’est plus une démocratie ? Une telle option est inenvisageable.

Les juifs libéraux américains ont réagi en soutenant indépendamment le mouvement de protestation israélien, aux côtés des juifs les plus progressistes de J Street et d’autres organisations du même genre. J’ai rencontré plus d’une douzaine de juifs américains de premier plan lors de manifestations devant le consulat d’Israël à Manhattan, des gens qui ne s’étaient jamais imaginés en opposants d’un gouvernement israélien. Le caractère nationaliste de l’opposition à Netanyahou, dont le drapeau israélien est le principal symbole, les a certainement confortés dans cette démarche. Ces libéraux sont toujours pro-israéliens et sionistes dans l’âme. Mais l’un des piliers de l’ancien credo de l’establishment s’est écroulé. La démocratie israélienne n’est pas aussi forte et durable qu’ils le pensaient et la menace qui pèse sur le sionisme pluraliste n’est pas le fait des Palestiniens ou du monde arabe, mais des Juifs extrémistes. Je ne sous-estimerais pas l’importance de cette évolution. Il est désormais impossible de définir une position pro-israélienne consensuelle faute de pouvoir dégager le moindre compromis.

J’avais cette crise à l’esprit lorsque j’ai décidé de signer la pétition. Si la prise de conscience d’un lien (telle que je l’ai évoquée au début de cet entretien) entre les ambitions des colons et le coup d’État antijudiciaire progresse aujourd’hui au sein du mouvement de protestation israélien, elle n’a pas encore vraiment commencé ici aux États-Unis. Beaucoup ont encore l’impression que la crise s’explique par la tenue du procès pour corruption de Netanyahou ou par le désir des partis haredim de supprimer toute séparation entre religion et État. Je ne veux pas dire que ces questions ne sont pas pertinentes ou importantes, mais le deuxième pilier du credo reste très solide. Les libéraux de la communauté ne sont pas encore prêts à dénoncer ouvertement tout ce qui se passe dans les territoires occupés en fustigeant non seulement les pogroms, qui sont faciles à condamner, mais toute la structure de gouvernance imposée par Israël, laquelle constitue un affront épouvantable à la démocratie et se trouve au cœur du coup d’État antijudiciaire. Je ne sais pas si nous parviendrons à les faire bouger, mais il n’y a jamais eu de moment plus propice pour essayer.

Sur ce point, il est peut-être important de légitimer le terme « apartheid » malgré tous ses inconvénients sur le plan intellectuel et politique. L’apartheid est un crime contre l’humanité qui ne devrait jamais être justifié au nom de la sécurité. Je ne sais pas comment la crise actuelle du pouvoir dans la communauté juive américaine sera résolue ; comme Gramsci l’a dit à propos d’un tel interrègne : « l’ancien se meurt et le nouveau ne peut pas naître ». Mais une solution que je ne souhaite absolument pas voir naître serait une sorte de modus vivendi entre un establishment juif américain reconstitué et la droite israélienne. Une telle éventualité semble difficilement imaginable aujourd’hui, mais si le coup d’État antijudiciaire échoue, le désir d’aller de l’avant sera grand, surtout si Netanyahou finit par quitter la scène et que des coalitions entre le Likoud et les partis centristes bourgeois (Yesh Atid et Unité Nationale) redeviennent possibles. Les vieilles habitudes ont la vie dure. Pour exclure la possibilité d’un tel rapprochement, il n’y a peut-être pas d’autre solution que de stigmatiser les objectifs territoriaux de la droite israélienne à un point tel qu’il devienne impossible à tout libéral qui se respecte de traiter de nouveau avec elle.

La pétition parle au nom de la diaspora juive américaine et recrute la plupart de ses signataires dans les universités en Israël et aux États-Unis. Ces signataires comprennent à la fois des antisionistes et des sionistes. Comment comprendre une telle coalition ? Et quel mouvement cohérent pourrait en résulter en Israël même ? N’est-elle pas en tension avec la mobilisation démocratique de ces derniers mois qui, s’enracinant dans le rappel de la Déclaration d’indépendance de 1948, apparaît donc authentiquement sioniste face à un gouvernement accusé de trahir le sionisme ?

La pétition s’adresse aux juifs américains, en particulier à ceux qui occupent des positions dirigeantes. Je suppose que la plupart d’entre nous pensent que la coopération entre les sionistes progressistes et les antisionistes (ainsi que les non-sionistes, c’est-à-dire la grande majorité de l’humanité) reste possible et même souhaitable à divers égards. Pour ma part, je pense que la lutte au sein de la communauté juive américaine est mieux menée par les sionistes progressistes.

En Israël, cependant, une coalition de sionistes et d’antisionistes est non seulement possible — comme l’a prouvé le précédent gouvernement dit « du changement » mis en place en juin 2021 — mais aussi nécessaire. Hormis dans les sondages les plus optimistes, qui sont probablement aberrants, il n’existe pas de majorité sioniste en faveur de la démocratie libérale en Israël. Il y a une majorité israélienne, mais elle ne pourra être activée qu’avec le soutien des citoyens arabes palestiniens d’Israël. Les aspects nostalgiques du mouvement de protestation me préoccupent donc beaucoup. La nostalgie est une force puissante et peut clairement mobiliser des classes sociales capables de discerner les intentions malveillantes de l’élite des colons de droite. Mais elle doit être freinée par la prise de conscience que les Juifs seuls ne peuvent plus garantir qu’Israël restera une démocratie. Pour construire ce front démocratique, il faudra remédier à la discrimination persistante et aux écarts socio-économiques entre les citoyens juifs et arabes d’Israël. Pour restaurer la démocratie israélienne au profit des Juifs, il faudra veiller à ce que les citoyens arabes d’Israël vivent enfin dans une démocratie. Et pour mettre fin à la menace d’une dictature des colonies à l’avenir, la dictature pilote instaurée dans les territoires occupés devra être démantelée.


Abe Silberstein

Abe Silberstein est un journaliste qui traite de la vie juive américaine et d’Israël. Son travail a été publié dans le New York Times, Ha’aretz, The Forward et The Tel Aviv Review of Books. L’abonnement gratuit à sa newsletter est disponible à l’adresse : http://abesilberstein.substack.com

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